Partie 1. “Attends-moi “
De ses jeunes années, Jake s’en souvient parfaitement. Fruit d’une union infidèle, du mot père ne lui apparaît qu’une simple silhouette dans un corridor. Ainsi que la description de sa mère alitée et faible : “Un diplomate influent et charismatique. Très intelligent, tu as ses yeux émeraudes.” disait-elle en caressant du pouce la joue de l’enfant. Pour elle, Jake appris le piano très tôt. Ses notes lui arrachaient quelques sourires. Sa mère s’éteint comme elle avait vécu par un calme soir d’été lorsque Jake avait 6 ans. L’enfant taciturne a ensuite été baltringué de foyer en foyer. Subissant sans un mot, s’adaptant sans rechigner et faisant de sa tristesse une écharpe. C’est vrai qu’il était un peu étrange le petit Hills, avec ses grands yeux verts qui vous fixent. Muet comme la tombe de sa mère qu’il n’avait jamais pu visiter. Ce défilé de maisonnées dura jusqu’à ses huit ans. Il résidait depuis quelques mois avec un couple de retraités laxistes. C’était un matin de mars qu’il l’entendu pour la première fois. Allongé dans le parc pour enfant du quartier, il avait sentie les soubresauts de la terre. Personne n’avait eu besoin de lui depuis la perte de sa mère. Personne n’avait prêté attention à ce gosse taciturne. Personne n’avait jamais rien vu en lui. Les yeux clos, il laissait cet Appel irrésistible l’envahir. Le chemin serait long et semé d'embûches mais Il le voulait, Il le demandait. Alors, Jake se redressa avec lenteur, dépliant son petit corps frêle et encra ses deux pieds dans la terre telle une promesse. Le gamin irait à sa rencontre : “Attends moi” lui souffla t-il. Le petit Hills ne se posa pas plus de questions, rien ne le retenait de ce coté de l’atlantique. La destination s’était précisée au fur et à mesure des jours. Stockholm. Un bien long périple pour un gosse non accompagné. Mais il savait se faire discret. Il foulerait cette terre jusqu’à lui. Il embarqua dans un port, se cachant dans un cargo et chapardant dans la cuisine des marins. Pour une raison qu’il ignorait, il n’avait que peu de difficultée à se fondre dans le décor. Telle une ombre il se glissait dans les recoins avant de retourner à sa cabane improvisé dans la salle des machines. Il débarqua dans le port d’Amsterdam en juin, les chaudes nuits d’étés lui permettaient de dormir à la belle étoile. Savourant la nature, il marchait à son rythme, mendiant et chapardant. L’épuisement se faisait sentir mais la perspective d’avoir quelqu’un qui l’attendait lui donnait foi en son périple. Parfois il montait dans des trains au hasard des gares et villages. Il ne s’en sortait pas trop mal. On pourrait trouver désolant qu’un gamin puisse traverser l’Europe seul sans que cela n’inquiète personne. Mais à l’heure ou chacun est rivé sur son écran, il n’était qu’une ombre passant au coin de l’oeil. Alors qu’il traînait du coté de St Petersbourg il aperçut un groupe d’enfant suédois en voyage scolaire. Jake se fondit dans la masse afin de prendre le car du retour en leur compagnie. Bien évidemment, quelques jeunes le remarquèrent mais ne signalèrent rien. Trop content d’avoir un nouveau camarade durant ce trajet bien trop long. Le gosse eu soudain l’impression de pouvoir souffler. Il allait rentrer quelque part ou quelqu’un l’attendait. Il pouvait rire des grimaces des autres dans le bus, savourer l’espace de quelques heures son enfance volée. Ils avaient passé la frontière Suédoise lorsqu’il empruntèrent cette route de montage un peu trop sinueuse. Une multitude de rochers vinrent se fracasser contre le bus. Des cris, des pleurs et la douleur. Sa vision était troublée lorsqu’il reprit connaissance. Son bras gauche était écrasé par des gravats. Les secours s’animaient autour de lui. Mais personne ne semblait le remarquer. Il avait envie de hurler qu’il était là, de venir l’aider, mais sa gorge était bien trop douloureuse. Tétanisé par la peur. Il n’atteindrait jamais la voix. Il ne pourrait pas tenir sa promesse. Tandis que les silhouettes des ambulanciers se faisait de plus en plus flous et que les cadavres s’amoncelaient, Il lui parla encore une fois, lui demandant de ne pas abandonner. Jake serra la machoire et se redressa avec peine. Il devait vivre mais cela avait un prix. Ses dernières forces il les utilisa pour se libérer de l’emprise du roc. Son bras littéralement écrasé resta sous les décombres tandis que le gosses hurlait de douleur et se vidait de son sang. C’est à ce moment, une fois sortie de l’enfer du bus, que les secours le prirent en charge. Leurs visages étaient marqués par l’horreur et l’admiration de ce geste. Jake venait de découvrir la valeur de la vie. Et la rage de la conserver. Il s’enfuit de l’hopital quelques jours à peine après le drame. Le personnel médical commençant à devenir trop insistant sur ses origines. Un manteau sur les épaules, cachant son infirmité et ses bandages, il traversa Stockholm. Paradoxalement ce fut la partie la plus courte mais la plus éprouvante de son voyage. Fatigué, sale et manchot, il s'effondra devant les portes de la congrégation, un sourire aux lèvres. “Je suis rentré.”
Partie 2. “Nous l’avons accepté”
Le petit Jake qui s’était écroulé sur le perron avait bien grandi. Et ce n’est pas métaphorique. Tandis que son pouvoir de caméléon prenait de l’ampleur les centimètres s’accumulaient de manière presque ironique. A vingt ans, on pouvait dire que l’homme était un enfant de la congrégation, cette demeure était devenu son foyer et toutes les personnes qui passait sa famille. Aucun recoin ne lui était inconnu, aucun potin non plus. Le jeune homme savait presque tous sur ce qui se tramait dans les couloirs. On lui avait fourni une prothèse à la pointe de la technologie. Il possédait une bonne condition physique et avait apprit à se battre à mains nues mais était meilleur en lancé de couteaux. Les missions s'enchaînaient, il brillait particulièrement pour l’espionnage. Néanmoins ses capacités furent misent à contribution pour une tâche plus sombre. Et moins reluisante. L’assassinat. Le conseil lui faisait confiance pour ne rien révéler de ces actions. Lui qui portait la vie en si haute estime devait la ôter à ses ennemis. Pour protéger les siens. Alors il se glissait dans le dos de ses victimes et d’un coup sec tranchait les artères. Et il priait pour le salut de leurs âmes et la sienne. L’homme ne s’octroyait jamais le droit de vie ou de mort. Il n’était que l’outil. De plus, il n’aurait pas voulu donner cette charge à quelqu’un d’autres. C’était à lui de porter cette responsabilité. Il intégra l’escouade d’élite dans la foulée. Une manière de s’assurer que tout les petits secrets seraient bien gardés puisqu’ils devenaient les siens. De temps en temps il encadrait des cours d’initiation à l’infiltration. Il aimait bien ce contact avec les plus jeunes. Patient et pédagoge. Il s’est aussi attribué la fonction de gérant des logements de la congrégation. Il aurait pu briguer une autre activitée mais celle-ci lui semblait la plus logique. Il pouvait ainsi connaître les horaires, les déplacements et les fréquentations de tous. Pratique pour cet agent du renseignement. Son quotidien fut bousculé l’hiver de ses 24 ans. Il remplissait usuellement ses missions seul ou avec l’escouade d’élite. Mais tous ses camarades étaient occupé et l’affaire devenait urgente. Il s’agissait de récupérer un parchemin détenant visiblement des informations cruciales aux mains d’un groupe de Créannes dangereux. Jake fut nommé chef de la mission, on lui avait clairement signifié qu’il ne devait pas échouer. Qu’importe le prix. Son escouade comprenait cinq autres missionnaires. Certains d’eux étaient ses amis. Il aurait pu remplir la mission seul mais le taux de succès n’était que de 50%. Alors on leur avait élaboré une tactique simple mais infaillible. Les Missionnaires seraient les appâts pour faciliter la progression de Jake. Chance de réussite 95%.
Ils progressaient en territoire ennemi et allait lancer l’attaque lorsque Jake comprit. Il l’avait vu dans le regard de ses compagnons. Aucun d’eux n’était partie dans l’optique de revenir. Il tressaillit, on lui avait volontairement caché cette partie de la stratégie pour qu’il aille au bout. L’un des missionnaires envoyé à la mort posa sa main sur son épaule : “Nous l’avons accepté.” furent ses seuls mots. Jake rempli sa part de la mission avec une facilité outrageuse et une rapidité déconcertante. Son objectif était d’en finir le plus vite possible pour éviter à ses compagnons de devoir faire durer les affrontements. Puis la réalité s'abattit lorsqu’il rejoint le champ de bataille. Deux étaient littéralement déchirés à ses pieds, leurs organes gisant de ci et de là. Les trois autres étaient à bout et ensanglanté. Jake, invisible, le papier fermement dans sa paume, ne pouvait leur signaler que la mission était terminé sans la mettre en péril. “A tout prix”. Alors il resta là, impuissant, assistant à l’indicible, témoin de la bravoure, la sauvagerie et l’horreur. C’était l’unique chose qu’il pouvait leur offrir. Il retourna à Stockholm, sans une égratignure. Seul.
Partie 3. "Tu as encore besoin de moi ?"
Syndrome de stress post-traumatique, le diagnostic avait un goût de sentence. Jake l’infaillible, Jake l’inébranlable avait été touché d’un mal bien plus profond qu’une blessure physique. Il n’en avait rien laissé paraître à son retour, mais les symptômes s'intensifiaient et l’un de ses rares proches le traîna en consultation médical. Mais il en fallait bien plus pour faire plier la montagne. Alors il fit jurer le silence à ceux qui savaient. Et tenta de reprendre le cour de sa vie. Mais un léger voile s’était immiscé dans son regard. Épaississant son aura de mystère. Il avait vu bien des cadavres et ses épaules avaient épanché bien des pleurs. Il avait vu les abîmes et les abîmes avaient vu en lui. Il possédait désormais l’étoffe d’un chef. Jake fut nommé président du conseil des émissaires. Ses missions se réduisirent peu à peu mais pas son implication. Jamais les dossiers du conseil n’avait été aussi bien tenu. D’ailleurs il ne se priva pas pour fourrer son nez partout pour y mettre de l’ordre. Peu après sa nomination et durant deux ans, il mit à jour, archiva, tria, régla toute la paperasse de la congrégation. Il exigea aussi un nettoyage de chaque parcelle de l’immeuble qui demanda deux mois. On nomme cette période : La première crise de Jake. A ce jour, c’est toujours la seule mais tout le monde se doute que cela lui reprendra à un moment donné. Pour canaliser sa maniaquerie une bonne âme lui a offert des aiguilles à tricoter et des pelotes de laine, par humour probablement. Mais l’Emissaire l’a prit au premier degrés. Ainsi, le soir, lorsqu’il ne joue pas du piano, Jake se plaît à s’installer confortablement dans son canapé et tricoter quelques écharpes, pulls ou mitaine. S’occuper les mains, c’est aussi une manière d’occuper son esprit encombré de questions. Les années passent et la trentaine passé son dieu semble lui porter de moins en moins d’intêret. Peut être Jake à t-il déçu son dieu adoré lors de cette fameuse mission ? Si finalement Nin Hursag n’a plus besoin de lui, que restera t-il à Jake ? L’homme ne vit que pour la Congrégation et ce qu’il peut lui apporter. Si cela lui est retiré il ne possède aucune famille, aucun rêve, aucun but. Tout ce chemin parcouru depuis cet Appel aura été vain.