Mar 19 Mai - 11:09
Le géant mit ses mains en porte voix. Il hésita à un instant, jetant un regard à l'homme qui l'accompagnait, qui haussa franchement des épaules en faisant la moue. "Sacrés français..." pensa Isaac. Ils avaient le don pour tirer des gueules improbables malgré le manque total d'intonation dans leur langue.. Il fallait bien qu'ils pallient à ce problème, après tout.
D'une voix puissante, le Medium lâcha un "BONJOUR!" qui résonna dans le refuge, et ne manqua pas de faire sursauter son compagnon, qui visiblement ne s'attendait pas à ce genre de choses. Forcément, il avait été relativement calme jusqu'à maintenant, appréhendant sa mission plus qu'autre chose. Isaac devait gravir 7 montagnes, et il se trouvait que la première allait déjà être corsée, malgré le fait que ça ne soit "que" le septième plus haut mont du monde.
"Mais qu'est ce qui est passé par la tête de cet énergumène?" rumina Isaac alors que le gérant du refuge, visiblement tiré de sa sieste quotidienne, vint les accueillir d'un ton monotone. C'était un homme, lui aussi, allant vers la soixantaine, rabougri, ridé, et visiblement peu commode. Ridiculement petit et gros, il ressemblait clairement, pour Isaac, à un nain des montagnes tels qu'ils sont représentés dans l'heroïc fantasy. Avec son énorme barbe blanche, sa calvitie avancée et son air de bulldog prêt à vous sauter à la gorge, il ne manquait pas d'ajouter une nouvelle teinte au tableau déjà bien coloré qu'était le voyage d'Isaac.
Son anglais, même s'il était empreint d'un accent à couper au couteau, était tout de même largement compréhensible, même pour le touriste qui l'accompagnait.
"Bienvenue aux refuges Garabashi, situés à 3800m d'altitude. Vous pouvez rester par ici le temps de vous acclimater, pour éviter le mal des montagnes. Un jour suffit, en règle générale." Il posa alors son regard sur Isaac, jugeant son équipement, et délaissant le Skieur, qui de toute manière était parti regarder les cartes affichées au mur.
"T'es là pour aller jusqu'au sommet, toi. Ça se voit."
Ca crevait effectivement les yeux qu'il était parti pour faire sa petite grimpette jusqu'au sommet. Il était équipé pour, et peut être même un peu trop.
Le bonhomme marqua un silence, le fixant toujours d'une manière insistante, puis reprit la parole.
"...De toute manière, les gens qui font de la luge s'arrête à la Station Mir, et ne montent pas jusqu'ici."
Un sourire se dessina sur le visage d'Isaac, qui déposa son sac au sol, et fourra ses mains dans ses poches, puis répondit.
"Je m'appelle Isaac. J'me suis fixé comme objectif de gravir les plus haut sommets du monde, et je commence par ici. Enchanté."
L'alpiniste en herbe trouvait le vieux assez drôle. Ce dernier plongea un regard sombre dans celui d'Isaac, lui donnant une très brève sensation de malaise, et se retourna, se dandinant vers une vieille étagère remplie de bouquins. Sortant quelques livres sur le point de tomber en pièces, il se posa sur un canapé non loin de la chaudière, et l'incita à s'installer à côté de lui. Isaac s'exécuta alors, pendant que le touriste, curieux, venait s'installer en face d'eux.
L'endroit était finalement un petit salon arrangé, près du feu, ou un fauteuil faisait face à un canapé, avec, figurant au centre, une petite table basse sur laquelle trônait à présent les livres amenés par le gérant du refuge. La chaudière, située non loin d'eux, irradiait l'endroit avec une douce chaleur due aux températures extérieures. Octobre n'étant pas le mois le plus froid, le bonhomme du refuge étant probablement habitué à l'endroit, et les murs étant plutôt épais, il n'y avait pas tellement de raisons de faire tourner à plein régime la vieille chaudière à bois, si ce n'étais que de gaspiller le combustible.
Les quelques heures suivantes, Isaac discuta longuement avec le gérant sur les subtilités de la montagne et du refuge, où il avoua n'avoir jamais fait d'alpinisme. En dehors de l'impression initiale qu'avait eu Isaac, le bonhomme semblait d'une gentillesse extrême, et plutôt agréable dans ses paroles et ses gestes. Son anglais restait à parfaire, mais il s'exprimait de manière simple et compréhensible, à la portée de tous. Pendant tout ce temps, le touriste qui était resté lui aussi dans son fauteuil ne décrocha pas une seconde de leur conversation, glissant parfois un commentaire ou un rire quand les paroles s'y prêtaient.
"Le mal des montagnes, Isaac, tu connais? J'en ai parlé tout à l'heure, demanda le petit homme, après quelques secondes de silence.
-Vaguement, je suppose que c'est un genre de soucis d'acclimatation en altitude, non? répondit Isaac, passant ses mains derrière sa tête tout en basculant bien au fond du canapé.
-C'est quelque chose qui te prend quand tu restes trop longtemps en altitude après être monté trop vite, comme avec le téléphérique. C'est dangereux. Tu as mal à la tête, après tu as envie de vomir, et des fois tu..."
Il claqua des doigts, fronçant des sourcils en cherchant ses mots. Isaac s'amusa alors à lui lancer des mots, pour essayer de compléter sa phrase, avant de rapidement trouver ce que le gérant cherchait.
"Tu t'évanouis?
-C'est ça! s'exclama le vieux, son visage s'illuminant. Tu t'évanouis, pouf, et tu meurs de froid. Il y a... Il y a environ vingt ou trente personnes par an qui meurent de froid ici. Ils disent que l'Elbrouz est facile, mais c'est des idiots! L'Elbrouz est pas facile, l'Elbrouz tue si on est pas préparés.
-Et donc, vous me conseillez de rester par ici un jour, le temps que le mal passe et que je sois prêt à grimper le reste de la montagne? demanda le géant, croisant les bras.
-C'est ça, répondit le vieux, en acquiesçant. J'espère que t'aime la nourriture. Ce soir, zakouskis avec pervoe, puis vtoroe, et un dessert!" annonça le gérant en souriant et se tapant le ventre déjà bien rond.
Isaac était aux anges, et manqua de verser une larme en entendant le vieux parler longuement de ce qu'il allait faire à manger pour ce soir. Visiblement, il était très souvent livré par les voyageurs et skieurs, qui acceptaient gentiment de monter la nourriture jusqu'au refuge. Isaac en déduisit alors qu'il avait été livré il y a peu, car le géant était souvent cible quand il s'agissait de rendre service là où de la force était demandée - et les caisse de bouffe, Isaac savait quel poids ça pouvait atteindre.
Très vite impliqué dans la préparations du repas, Isaac était aux anges. Il recevait du vieil homme un enseignement précieux à ses yeux, et mettait alors tout son cœur dans la réalisation et préparation des divers plats qui lui étaient promis pour le soir, sous l’œil amusé du français, qui avait presque été agressé par le gérant pour rester, et le sourire de ce dernier.