Pour des raisons de secret défense du forum, l'histoire de Steek ne sera pas révélée ici, à la place je me contenterais de décrire des passages de ses longues et ordinaires journées.
Il est sept heures et je suis déjà dans mon bureau… C'est bien trop tôt. Si seulement je pouvais me prélasser dans mon lit durant toute la journée. Mais non. Et vas-y qu'il faut accueillir les nouveaux arrivants, et vas-y qu'il faut donner des cours à des ignorants qui n'écoutent pas et ne retiennent rien. (Ils rigoleront moins en se retrouvant aux enfers parce qu'ils n'auront pas écouté en cours et se feront tués par une créanne. Ceci dit, ce n'est pas mon problème, j'ai droit à dix pour cent de perte…)
Je jette un regard consterné aux piles de dossiers qui s'entassent sur mon bureau. Mais pourquoi est-ce encore à moi de m'occuper de ce genre de choses ? Pourquoi n'ai-je pas trouvé de remplaçant pour faire le sale boulot ? Ah, si ! Il y a Nath mais elle refuse catégoriquement de signer tous les papiers à ma place, sous prétexte que ce ne serait "pas correct". Je devrais pourtant le savoir après toutes les années passées derrière ce bureau… Un jour je porterais plainte contre ces enfoirés de Dieux qui se croient tout permis, ou alors je ferais la grève, comme ça ils seront tous dans le pétrin. Pourquoi n'ai-je donc pas droit à des jours de congés ou à des vacances ? Ceci dit, je ne serai même pas étonné d'apprendre que c'est de la faute d'Ershkigal… Lui et toutes ses manigances.
Je pousse un soupir et attrape un papier en haut d'une pile. C'est un compte rendu de mission.
"Lors d'une altercation avec des Créannes, deux de nos prêtres-rois sont mort…"
Je laisse tomber la feuille. Et qui va devoir envoyer une lettre de condoléances à la famille ? Moi, comme d'habitude. Ils ne pourraient pas faire un peu attention à leurs fesses ? Evidemment c'est toujours les mêmes qui recollent les morceaux…
Je prends une autre feuille, il s'agit cette fois-ci, d'un rapport d'incident et je crois me douter qui en est l'objet. Et je peux affirmer qu'il va passer un sale quart d'heure, enfin ça ne lui fera que quelques heures de colles en plus…
"Le dénommé Renzo Layne a jugé, semble-t-il, intelligent, de faire de la tyrolienne entre deux bâtiments de cours. Il s'est écrasé contre l'une des vitres d'une salle de classe, perturbant ainsi le bon déroulement du cours et choquant certains élèves."
Je ricane. Je vois très bien Renzo s'écraser contre l'une des vitres et glisser le long pour aller s'écraser plusieurs mètres plus bas. Peut-être pensait-il faire une entrée fracassante en brisant la vitre ? Malheureusement pour lui, j'ai récemment installé des triples vitrages pour prévenir ce genre d'incidents. Avec un peu de chance il est resté sonné et a oublié de se réveiller. J'aurais ainsi quelques vacances… Et ça se dit Missionaire en plus… Mais où va-t-on ?
~*~
Je lance un regard meurtrier à la loque qui est affalée sur le bureau du premier rang. Il ne réagit pas le moins du monde et continue de faire sa "petite sieste". Non seulement il fait de la tyrolienne mais en plus il dort, ou fait semblant de dormir, en cours.
Je me retourne d'un coup et lui lance mon stylo qui lui arrive en pleine tête. Il murmure un "Aïe!" atone puis relève la tête et me fixe d'un air ennuyé. Je lui fais un grand sourire sadique.
- Renzo, tu tiens peut-être à ce que je te rajoute dix heures de colles ?
- M'en fou ! Grogne-t-il.
- Et t'es de corvée de ménage pendant deux semaines pour avoir fait de la tyrolienne. Tu pourrais au moins avoir la décence de rester aux Enfers.
- Ersh veut pas…
- Je m'en moque !
J'entends les murmures de la part des autres élèves. Ah, ne peuvent-ils pas se contenter d'observer en silence ?
- Le prochain qui ouvre la bouche se prend deux heures de colles !
Ils se taisent. Ah, quel bienfait que le silence. Si seulement Renzo pouvait disparaître, ce serait juste parfait. Enfin, pour l'instant il boude et ce n'est pas plus mal.
Je reprends donc mon cours. Ou en étais-je ? Ah oui, le rôle d'Enki dans le panthéon… Bon sang, mais pourquoi suis-je obligé de m'infliger cette torture à chaque fois ? Tout le monde sait bien qu'Enki organise le monde et qu'il est tellement occupé qu'on ne peut pas avoir de rendez-vous avant cinquante ans au moins. Les dieux et leurs magouilles c'est tout une histoire d'amour, et encore je ne raconte pas tout à mes chers et tendres élèves. Ils risqueraient de prendre peur et ce n'est pas ce que nous voulons, après tout, il faut bien des larbins pour faire le sale boulot non ?
~*~
Je pousse un soupir et pose mon regard sur les personnes présentes autour de la table. Il y a Jake, émissaire de Nin Hursag, Levy, gamine de dix-sept ans, émissaire de ce cher Enlil, Nath, ma secrétaire, émissaire d'Inanna, et enfin cet imbécile de Renzo. Nul besoin de rappeler qu'il est l'émissaire d'Ershkigal. Tous les cinq nous formons le conseil des émissaires, autrement dit, l'élite de la Congrégation. Cet appellation me fait doucement rire, dans le sens où nous somme plus une bande de bras cassés (je parle littéralement pour Renzo qui sème des bouts de cadavres un peu partout) qui passent plus leur temps à se crier dessus, plutôt que de régler des problèmes.
- Nous avons un problème avec les créannes, déclare Nath.
Un sourire ironique vient barrer mon visage.
- Ce n'est pas une nouvelle ! Ca fait des millénaires qu'elles nous emmerdent !
- J'entends par là que plusieurs rassemblements signifiants ont été recensés. Deux de nos prêtre-roi sont morts.
L'annonce jette un froid sur notre petite assemblée. Même Renzo qui faisait le pitre et gesticulait s'est stoppé.
- Ça fera toujours ça de gagner pour Ershkigal, je réponds cynique.
Renzo hausse un sourcil mais ne dit rien, Levy et Nath non plus, qui sont habituées à mon comportement.
- Tu as envoyé des lettres de condoléances au moins ?
Je fais un geste désinvolte de la main.
- Ouais, ouais…
Je peux paraître déplacé et désinvolte, pourtant je suis furieux. Ces saletés de créannes commencent vraiment à m'énerver. Depuis des années elles sont une épine dans mon pied et je perds sans arrêt des missionnaires.
Je soupire et remets mes lunettes en place. En même temps si l'élite les formait correctement nous n'aurions pas ce genre de problèmes.
- Ah la la, le Mousteek est en colère lâche Renzo.
Je me tourne vers lui et lui fait un grand sourire sadique. Je vais le tuer. Cette horrible loque va vraiment finir par déguster les pissenlits par la racine. Je vais le renvoyer en pièces détachés à Ershkigal, emballé dans un paquet cadeau.
- Renzo la prochaine fois que tu fais de la tyrolienne, ou n'importe qu'elle autre connerie, je te colle jusqu'à ce que t'en crèves et même quand tu seras mort, je te ferais trimer jusqu'à ce que tu me supplies de t'épargner, et même là je ne m'arrêterais pas.
Il poussa un soupir et se rencogna dans sa chaise, l'air de bouder.
Je jetai un regard aux trois autres. Levy et Nath arboraient des têtes de blasées, trop familiarisées à ce genre de scène, et Jake était aussi placide qu'à son habitude.
Je ne l'aime pas. Il est trop calme, trop intelligent, trop parfait. Et regardez-moi cette stature : il est grand, musclé, sans parler de toutes ses filles qui lui courent après. Je devrais porter plainte auprès d'Enlil tiens ! Je sais que c'est lui qui l'a créé juste pour me faire complexer sur ma taille. Non, je ne suis pas petit. Et le premier qui oserait le dire, finirait encastré dans un mur.
J'entends les autres qui parlent des créannes, de l'influences des dieux sur elles… Je fini par me désintéresser de la conversation. Cela fait des millénaires que les créannes nous posent des problèmes, et des millénaires que les dieux ne font rien pour régler ce problème, prétextant que c'est à nous de le faire. Ils ne se préoccupent que de leur petite personne et se moquent bien de savoir que leurs états d'âmes peuvent engendrer des monstres.
- Lewis ?
Je relève la tête et pose mon regard sur Nath. Elle vient apparemment de me poser une question.
- Oui ?
- Que fait-on pour les créannes ?
Je hausse les épaules.
- Rien pour l'instant.
- Mais Lewis…
- Mais rien du tout, coupai-je Jake. Pour le moment on attend.
- Quoi ? demande Renzo.
Je lui souris d'un air hypocrite.
- Que les choses bougent.
Ils se taisent, dubitatifs, mais ne répliquent rien. Et oui, que pourraient-ils dire ? Après tout ma parole fait loi, et ils ne peuvent rien y faire.