Banalité d'une vie sans soucis...Ophelia avait eu une vie banale et sans soucis – comme le titre l'indique, oui je sais – comme la plupart des autres jeunes filles de son âge. Bonne élève, elle n'avait jamais causé de soucis à sa mère, qui l'élevait seule depuis que son père l'avait quitté pour une autre femme, l'obligeant à cumuler deux boulots pour permettre à ses enfants d'avoir la vie qu'elle leur souhaitait.
Enfant, elle restait dans sa bulle à s'inventer des mondes fantastiques qu'elle ne pouvait partager. Duncan, son frère aîné, n'était lui-même n'était pas vraiment loquace et ne savait comment se connecter à sa petite sœur. La voyant sans cesse fixer le plafond, le ciel, ou que sais-je encore, il lui avait prêté ses cahiers, qu'elle couvrait d'histoires épiques et lyriques. Puis, pour l'anniversaire de ses dix ans, il l'initia à l'informatique. Les ordinateurs furent son autre monde. Un monde merveilleux, connecté à tous les autres, dans lequel elle pouvait partager ses rêveries et vivre celles des autres, en créer toujours plus. Elle était devenue accro aux rpg et n'en sortait que pour les obligations, comme aller à l'école. Ou se nourrir. Encore que, pour cette dernière, pas besoin de quitter son écran... Lors d'une de ses banales sorties Ophelia fut repérée par un recruteur d'une illustre agence de mannequin dont elle n'avait jamais entendu parler :
« Storm Model ? C'est dans quel jeu ? »L'homme cru que c'était de l'humour et quelques jours plus tard, le contrat était signé. L'adolescente ne comprenait pas vraiment en quoi ce qu'elle faisait était un travail. Depuis toujours elle voyait sa mère suer sang et eau pour rapporter de quoi les nourrir, alors qu'il ne lui suffisait que de se faire pouponner et de se faire prendre en photo pour avoir de quoi payer son école et celle de son frère. Certes, cela pouvait durer plusieurs heures, il fallait porter des vêtements inconfortables et suivre les directives sans queue ni tête d'un photographe ou d'un styliste imbu de lui-même, mais cela ne lui demandait pas d'effort particulier. C'était parce qu'elle avait du "chien" disait-on. Son air impertinent, lié surtout au fait qu'on la dérangeait dans ses rêveries, était ce qui plaisait le plus. Sa nonchalance dénué de tout orgueil attirait la sympathie et elle se fit plus d'amis qu'il ne lui en fallait.
Malgré un emploi du temps bien rempli elle n'abandonna pas ses études et pu même se payer une bonne université à Londres pour y étudier l'histoire de l'art. Dans la capitale ses amis du net, de la fac et de l'agence se mêlaient pour former une joyeuse bande de fêtards...
… animée par une rencontre...Une nuit, une discothèque, des jolies filles. Voilà le contexte de la rencontre entre notre héroïne et le surnaturel. Alors âgée de 20 ans, elle profitait d'une soirée en compagnie de ses amies mannequins et étudiantes. Enfin, profitait... C'était elles qui profitaient, parce qu'Ophelia restait accoudée au bar à siroter son mojito, à côté d'un ivrogne endormi, pendant que ses amies dansaient, draguaient, vivaient. La fac l'avait renfermé dans sa bulle, son esprit n'étant plus occupé qu'à ses études et ses réflexions, oubliant le monde extérieur. Enfin, pas tant que ça...
Du coin de l’œil elle voyait bien ce beau brun, assis un peu plus loin. Et comment ne pas le voir ! Même assis il semblait immense, sublimement moulé dans son costume taillé sur mesure, ses yeux verts perdus dans le vague, lui aussi. Ophelia enviait ses amies, si décontractées et extraverties. Si elle avait été l'une d'elles elle n'aurait pas hésité à finir son verre cul-sec et aller s'asseoir à côté de ce beau jeune homme pour l'aborder en battant de ses cils de biche. Au lieu de ça elle restait là, trop timide pour faire quoi que ce soit. Minuit venait de passer lorsque la jeune femme entendit chuchoter à son oreille :
« Une jolie fille comme toi... quel gâchis... »C'était l'ivrogne assis à côté d'elle. A ces mots, une étrange chaleur s'empara d'elle, de son corps, qu'elle ne maîtrisa plus. C'était comme si elle était devenue la marionnette d'un autre, ou plutôt la marionnette de ses propres désirs. Désinhibée de sa timidité, elle se joignait à ses amies, dansant et riant, sans pour autant que ce soit vraiment elle qui soit à l'origine de tout ça. C'était une sensation étrange, à la fois effrayante et excitante. Évidemment, elle ne pouvait se douter qu'elle était possédée par une créanne lubrique qui voulait profiter de son corps comme d'une marionnette pour s'adonner à ses envies... Tout ce qu'Ophelia voyait c'était qu'elle assouvissait ses désirs sans que son esprit trop réfléchi n'aie le temps de l'en empêcher. Elle croisa alors le regard du bel homme en costume. Alors qu'il ne lui prêtait aucune attention quelques instants auparavant, maintenant il la scrutait, comme s'il tentait de voir dans les tréfonds de son être... Ou tout simplement sous ses vêtements. La force qui la possédait semblait quelque peu apeurée, mais l'envie d'Ophelia pris le dessus et accompagnée de son étrange marionnettiste, elle s'assit à côté du beau brun en costume, l'abordant d'une voix qui n'était pas la sienne.
« Alors beau brun, tu m'offres un verre ? »Jamais de sa vie Ophelia n'aurait osé dire ça, mais la créanne qui habitait son corps l'avait poussée au-delà de ses inhibitions. De près, l'homme était en corps plus beau. Son costume sur mesure laissait devenir son corps fin mais musclé, ses cheveux noirs glissaient sur ses yeux d'un vert émeraude, ancré dans ceux d'Ophelia. Son visage avait beau être d'un calme olympien, il semblait la transpercer du regard. La jeune femme souriait d'un autre sourire que le sien, sentant la chaleur qui la manipulait trembler en elle. La main de l'homme, grande et fine, quitta alors son menton qui s'y appuyait pour venir se poser sur la joue d'Ophelia. Ce contact fit fuir l'étrange marionnettiste et la jeune femme repris alors conscience et sa timidité la poussa à baisser les yeux. La créanne l'avait quitté, effrayée par la puissance de Jake. Au même moment, l'ivrogne assis au comptoir se releva précipitamment, faisant tomber son tabouret, et quitta la boite de nuit. Quant à Ophelia, elle sentait ses joues lui chauffer plus que jamais tandis qu'elle reprenait ses esprits, se rendant compte que durant les derniers instants elle n'avait pas été elle-même...
« Voilà qui est mieux... »L'homme la regardait, souriant. Jamais elle n'avait eu les joues aussi rouges. Elle ouvrit la bouche, pour la refermer aussi sec. Elle allait s'excuser, mais de quoi ? Elle avait déjà fait le plus dur et quand bien même ce n'était pas vraiment elle, maintenant elle était elle, non ? Vous saisissez ? Non ? Et bien elle non plus à vrai dire, mais elle ne voulait pas laisser filer cette occasion. Sentant le regard de ses amies dans son dos, et surtout celui de l'homme en costume, Ophelia releva alors la tête et planta ses yeux de biche dans l'émeraude du beau brun.
« Alors, ce verre ? Un sourire s'étira sur le visage de la jeune femme, le vrai cette fois. Jamais elle ne se serait crue capable de faire ça, mais cette étrange expérience l'avait comme motivée à prendre son courage à deux mains. L'homme lui rendit son sourire et la jeune femme su que ce ne serait pas la seule chose qu'il lui offrirait ce soir...
… qui a tout changé...Ils avaient passés la soirée à parler. Au début, Ophelia était un peu handicapée par sa timidité, mais les heures passant elle se laissa aller, faisant signe à ses amies de rentrer sans elle. Le beau brun – qui était l'un des hommes les plus grand qu'elle n'aie jamais vu ! – lui proposa de rentrer chez elle, mais la jeune femme s'endormit dans le taxi et se réveilla dans une chambre d'hôtel. Sur le coup elle paniqua, mais se rendant compte qu'elle était encore tout habillée elle se calma. Le beau brun dormait dans un fauteuil, à côté du lit. Il semblait si paisible, elle ne voulait pas le déranger dans ses rêves... Alors qu'elle s'apprêtait à quitter la chambre d'hôtel pendant qu'il dormait encore, il la retint. A partir de là leur étrange histoire commença.
Elle ne connaissait presque rien de la vie de Jake Hills, ni son métier, ni son adresse, mais peu importait. L'électricité qui était entre eux balayait toutes les questions qu'elle pouvait. Après ce week-end passé au lit ils décidèrent de se revoir. Ce n'était pas souvent, ce n'était pas régulier, mais chaque fois que Jake passait près de Londres, ils se donnaient rendez-vous dans la même chambre d'hôtel que la première fois. Leur relation était étrange aux yeux des amies d'Ophelia : ils pouvaient passer des mois sans se voir ni se parler et pourtant à chaque retrouvaille était plus intense que la précédente. C'était passionné et enflammé, digne d'un film, au point qu'après chaque départ de Jake, Ophelia se demandait si elle n'avait pas rêvé... D'autant plus que depuis leur rencontre, la jeune femme se mettait à voir des choses étranges...
Dans un premier temps ce fut à peine perceptible. Elle percevait des choses du coin de l’œil, avait l'impression d'avoir une meilleure intuition. Ophelia pensait que cette espèce de possession – qu'elle n'essayait plus de s'expliquer – et surtout son aventure d'un soir lui avait ouvert les yeux sur les gens, le monde. Mais, avec le temps, cette nouvelle perception des choses lui donna l'impression d'avoir des hallucinations. Dès qu'elle sortait elle voyait des choses étranges que ses amis ne percevaient pas. Une étrange atmosphère semblait régner autour d'elle et la jolie brune se renferma sur elle-même, ne pensant plus qu'à ses études et délaissant son travail de mannequin. Très vite, ses seules échappées furent réservées à Jake. Lorsqu'il était là, les étranges visions s'évanouissaient. Elle n'osait pas lui en parler de peur qu'il ne la pense folle, néanmoins il se rendait bien compte que quelque chose clochait... Un soir qu'ils avaient trop bu elle lui avoua qu'elle voyait des fantômes, riant pour faire croire à une blague une fois son erreur réalisée. Le lendemain il partait et elle avait peur de l'avoir effrayé... Mais il revint deux semaines plus tard – délais incroyablement court pour eux ! – avec paquet.
« C'est pour faire fuir les fantômes... »L'écrin contenait un anneau sur lequel était inscrit d'étranges runes. Ce n'était pas une alliance, loin de là, d'ailleurs il était même trop grand pour le pouce d'Ophelia, mais ce n'était pas l'important. D'après Jake il était sensé faire fuir les esprits malfaisants. Ophelia n'arrivait pas à savoir si, derrière cet air sérieux qui ne quittait que rarement Jake, il la taquinait ou non. Encore une fois, peu lui importait. Elle passa l'anneau dans une chaîne et ne le quitta plus depuis.
Leur histoire dura deux ans. Ce n'est pas tant la distance qui y mis fin, mais le mutisme de Jake. Au début Ophelia appréciait son aura de mystère, mais avec le temps elle était frustrée. Elle se livrait toujours plus à lui et lui ne lui parlait jamais de lui. Au contraire, elle sentait qu'il lui arrivait des choses, son sommeil devenait agité et ses visites plus espacées. Ophelia se sentait démunie, sans aucun moyen pour le contacter. Convaincue que le temps allait régler les choses, elle préférait attendre. Alors qu'elle révisait ses examens de troisième année de licence, il lui donna rendez-vous à leur chambre d'hôtel habituelle. Sous les yeux éberlués de sa colocataire Ophelia plaqua ses révisions et fonça le rejoindre. Cela faisait des semaines qu'elle n'avait aucune nouvelle. Ils n'étaient jamais restés sans contact si longtemps. Elle réfléchissait aux répliques cinglantes qu'elle pourrait lui asséner tout en sachant qu'elle n'en ferait rien : elle était trop heureuse de le revoir. Enfin, après un moment qui lui parut une éternité, elle arriva enfin dans la chambre, essoufflée. Jake était là, assis sur un fauteuil, pourtant Ophelia ne parvint pas à sourire. Quelque chose clochait. Tandis qu'il se levait elle ne pu s'empêcher d'admirer pour la énième fois la longueur phénoménale de ses jambes. Ses pas étaient immenses, si bien qu'il fut vite à sa hauteur, trop vite. Sans un mot, il sorti une enveloppe de la poche de sa veste et lui donna, l'embrassa sur le front et sorti de la chambre. Ophelia n'avait pas besoin de lire la lettre pour comprendre. Leur histoire était finie, il n'y avait plus rien à faire...
… jusqu'au départ...En réponse à cette rupture la jeune femme se plongea de plus belle dans ses études. Elle obtint sa licence en histoire de l'art avec mention, puis son master, avant d'enchaîner sur un doctorat. Elle n'avait plus goût à rien et ne sortait plus, d'autant qu'elle avait plus peur que jamais de s'exposer à ces choses étranges maintenant que Jake n'était plus là.
A l'aube de ses 26 ans elle était plus que jamais plongée dans ses recherches et partageait, avec chance pensait elle, une très bonne relation avec son directeur de recherche. Plutôt jeune et charmant, le professeur Evans boostait la jeune femme dans ses recherches, n'hésitant pas à répondre à ses mails nocturnes ou à boire un verre avec elle "pour garder de bonnes relations"...
C'est dans cet état d'esprit Ophélia partait un soir pour rejoindre son professeur dans un pub récemment ouvert, sur l'ancienne boite de nuit où elle avait rencontré ce si beau brun. Ce remémorant cette si bonne soirée – et surtout ce si beau garçon – elle rentra toute souriante dans le bar, repérant son professeur dans un box un peu isolé. Il lui avait déjà commandé une bière, une ambrée en plus ! De son pas sautillant, ne remarquant pas les formes inhabituelles dans l'obscurité du pub. Comme d'habitude la discussion s'engagea rapidement, alimentée par les bières, qui furent ce soir-là assez nombreuses !
Minuit passé, le pub n'allait plus tarder à fermer et la tête commençait à lui tourner. Elle avait trop bu, elle le savait, mais elle riait, riait ! Julian – le prénom du professeur Evans – était dans le même état qu'elle, elle le savait car derrière ses petites lunettes d'universitaire, ses yeux bleus brillaient trop. Le barman les invitait aimablement à prendre la sortie et c'est en riant toujours qu'ils sortirent et, malgré un taux d'alcoolémie certain, Julian proposa à la jeune fille de la ramener en voiture. La perspective du métro ne l'enchantant guère, Ophelia accepta. Elle avait oublié que Julian était son directeur de thèse, son supérieur, tout ce qu'elle savait c'est qu'elle riait comme cela ne lui était plus arrivé depuis longtemps. Une fois dans la voiture elle se perdit dans la lumière des réverbères qui défilaient, propice aux rêveries... La voiture s'arrêta au pied de l'immeuble d'Ophelia. Les yeux dans les étoiles, elle n'avait pas envie d'en sortir. Elle sentait le regard de son directeur sur elle et une étrange chaleur montait. Il dit son nom. Elle croisa son regard. Et la chaleur que ressentait Ophelia se propagea dans le reste de l'habitacle...
Quelques semaines plus tard, il apparut que coucher avec son directeur de thèse était la pire idée du siècle. C'était tout le contraire de sa relation avec Jake. Alors que Jake était grand, brun, taciturne, et pouvait passer des semaines sans la voir, Julian était plus petit qu'elle, blond et horriblement collant. Certes, il était sexy et gentil, mais il l'étouffait. Quatre semaines seulement et ils se disputaient déjà, alors même que la fin de la thèse de la brune approchait à grand pas. Plus elle se sentait enfermée, frustrée, plus elle percevait ces étranges formes, cette atmosphère... Jusqu'à cette nuit et cet étrange rêve. Elle ne pouvait dire de quoi il s'agissait vraiment, mais en se réveillant elle savait ce qu'elle devait faire. D'un geste sec elle écarta ses draps, se leva, fit ses valises avec une facilité déconcertante et quitta son appartement sans même en verrouiller la porte. Elle décolla pour Stockholm. Pourquoi Stockholm ? A vrai dire, elle n'en avait aucune idée, mais elle savait qu'elle y trouverait la réponse.