Parfois j’ai du mal à comprendre mon dieu. Bien sûr je ne me venterais pas de dire que je le comprends, c’est un être supérieur après tout.
Mais là, j’ai du mal à comprendre ce qu’il lui passe par la tête.
Ca fait environ une demi-heure que je me suis enfermé dans la salle de bain. D’habitude je ne reste pas aussi longtemps… tellement que ma mère vient de passer et de frapper à la porte en disant « Lily ! Ne reste pas trop longtemps dans la salle de bain s’il te plait ! » en pensant que c’était ma sœur.
Nanna, je ne vous comprends pas, là. Pourquoi cet accoutrement… ? A la limite de l’habit moyenâgeux, du chapeau à plume aux collants, en passant par la fraise en dentelle ! En plus je ne peux pas enlever ces vêtements, ils se resserrent dès que j’essaie ! Même le chapeau je ne peux pas l’enlever, c’est comme s’il s’alourdissait dès que je le touchais avec ma main ! Enfin, je ne vais pas passer la journée comme ça, si ?... Qu’est-ce que je suis censé faire avec ça moi, au juste ? Ah, je vais devoir aller à la Congrégation du coup, si je veux savoir ce qu’il veut que je fasse avec cette tenue… comment je vais faire pour sortir ?! Je n’aime déjà pas qu’on me fixe, mais alors là, avec ça sur le dos… !
Je pousse un soupir, plaque mon oreille contre la porte de la salle de bain pour vérifier qu’il n’y ait personne dans le couloir, et m’empresse de rejoindre ma chambre en prenant soin de fermer à clé derrière moi. Je vais alors fouiller dans ma penderie, avant d’en sortir ce que je cherchais. Une grande cape d’hiver grise. Je ne la mets jamais, pas même en hiver, parce qu’elle me tient trop chaud. Ahhh, je vais mourir avec ça, en cette période… enfin bon, je n’ai pas trop le choix…
Je déplie le vêtement et m’enveloppe dedans, en faisant attention à ce qu’il ferme bien devant. Bon… mes étranges habits étant un peu volumineux, ça fait des formes pas très naturelles par endroit… sans parler de la coiffe que je ne peux pas enlever… mais bon, c’est mieux que rien à la limite.
Je m’apprête donc à sortir, mais pour atteindre la porte d’entrée je dois passer devant la cuisine… et forcément…
— Alexander ?! Qu’est-ce que tu fiches avec ça sur le dos ?!... c’est quoi, ce chapeau à plume là ?
Je me tourne à la manière d’un automate vers ma sœur, les joues rouges.
— Euh… en fait… c’est… c’est… un pari, oui, voilà…
Elle hausse un sourcil.
— Tiens, tu fais des paris toi maintenant ? Je sais pas ce que t’as foutu quand tu t’es barré pendant plusieurs jours l’autre fois, mais t’as un peu changé, depuis.
Ah, ma mission… en même temps, je suis obligé de lui servir des excuses bizarres quant aux phénomènes et à mes actions en lien avec Nanna… genre quand je me retrouve du jour au lendemain avec plein de poussière dans ma chambre, je suis obligé de dire que j’ai oublié de faire le ménage pendant toute une semaine… chose que je n’oublie jamais en temps normal. Donc elle me trouve super bizarre, ce que je conçois.
— Oui… enfin… pas vraiment mais… pas le temps de t’expliquer, je dois y aller !
J’ai le temps d’entrevoir un sourire sur son visage, puis je me précipite vers la sortie.
Les gens me regardent un peu –beaucoup- bizarrement dans la rue, mais certainement moins que si je n’avais pas mis cette cape.
C’est avec soulagement que j’arrive à la Congrégation. Là-bas, les gens bizarres, on a l’habitude, n’est-ce pas ?
Mais c’était sans compter –encore- sur l’apparition soudaine de la fille aux cheveux blancs, Lynn. Je ne sais pas comment je fais, presque à chaque fois que je viens je la croise… et j’ai bien compris qu’elle adorait m’embêter. Ah, pourquoi il fallait que je tombe sur elle aujourd’hui !
— Ohh, Alex le coincé ! fait-elle avec un grand sourire en me voyant. Tiens, qu’est-ce que tu fais avec ça sur le dos ? Et puis c’est quoi ton chapeau là ?
Elle prend un morceau du tissu de la cape et je m’empresse de reculer, pour ne pas qu’elle me l’enlève, parce qu’elle en serait capable. Elle affiche une expression de surprise. C’est vrai que d’habitude je n’ai pas de mouvement de recul, avec qui que ce soit…
— Bah alors ? Qu’est-ce que tu caches ? T’es à poil en-dessous ou quoi ?
Mon visage prend une teinte cramoisie.
— Bien sûr que non ! Je…
Pour ponctuer mes paroles, par réflexe, je dégage la cape de mes bras et agite les mains. Je me rends alors compte de mon erreur. Lynn plisse les yeux en voyant les manches de mon merveilleux costume sorti de nulle part. Je m’empresse de cacher à nouveau mes mains sous le vêtement d’hiver.
Elle lève les yeux vers mon visage.
— Hey, Alex le coincé… c’était quoi, ça ?
— Rien, je marmonne, les joues rouges.
— Alleeeeez, montre !
Alors, d’un geste vif, elle s’empare d’un pan de la cape et la repousse. Elle écarquille les yeux en voyant mon costume.
Puis explose de rire. Je serre les dents.
Entre deux respirations, Lynn parvient à demander :
— Oh mon dieu mais… mais c’est une blague d'un dieu ?! …
Je détourne les yeux, avant de répondre :
— Je pense… en tout cas je ne m’amuse pas à m’habiller en valet tous les matins…
Les larmes au bord des yeux, elle souffle :
— Hey dis, j’peux te traiter en esclave du coup ? T’as la tenue pour… !
Je me retiens de dire que ça ne changeait pas beaucoup de d’habitude… le fait d’être traité comme un « esclave », je veux dire. En même temps je suis incapable de refuser quoique ce soit… enfin ça dépend… bref.
Prenant mon silence pour un « qui ne dit mot consent », elle affiche un air supérieur et plisse les yeux.
— Bien ! Alors, déjà je veux que tu me portes jusqu’à l’étage supérieur, c’est vrai, ils sont trop grands les escaliers ici. Ensuite… ah bah en fait non t’as de la chance, j’ai un cours après.
Elle m’affiche un sourire moqueur. Je serre les lèvres. Ah, je ne sais pas dire non… Bon sang Alex, t’en a pas marre d’être traité comme un moins que rien ? Aucune autorité ni aucune fierté, franchement…
— Bon, c’est parce que je t’aime bien, hein…
En vrai ça aurait pu être n’importe qui, je n’aurais pas refusé. Je crois que j’essaie juste de garder un minimum de crédibilité…
…crédibili-quoi ? Ouais, pardon, je n’ai rien dit en fait.
Je m’accroupis, pour qu’elle monte sur mon dos, ce qu’elle fait avec joie. Elle enroule ses bras autour de mon cou –rigolant pour la fraise au passage-, manquant de m’étrangler –à croire que cette fille n’est dotée d’aucune délicatesse… à moins qu’elle ne le fasse exprès, ce qui est fort probable aussi-. Je me remets debout et me dirige vers les escaliers. Cette fille est un poids plume, ce n’est pas ça qui me pose problème… c’est plutôt que, pour tenir ses jambes, je suis obligé de dégager la cape. Les gens me regardent donc passer avec ma superbe tenue, et les rires fusent dans le couloir. Le teint toujours cramoisi, j’accélère le pas. Vivement que cette journée se finisse… j’espère que Nanna n’a pas des idées lumineuses comme ça tous les jours… enfin après tout il fait bien ce qu’il veut de moi, mais bon…
— Arrête-toi là, Alex le coincé ! fait alors la voix de Lynn dans mon oreille.
Je la redépose sur le sol, et m’empresse de me frotter les côtes. Elle a pris un malin plaisir à me donner des coups de pieds, comme si elle était sur un cheval… ça fait mal, merde !
Elle m’adresse un sourire, se met sur la pointe des pieds et me frotte les cheveux, comme à un enfant.
— C’est bien, petit esclave ! Merci ! Les dieux devraient t’habiller en valet plus souvent, c’est très drôle ! Bon, en attendant je dois y aller. See you later !
Puis elle s’éloigne me laissant là, perplexe. Cette fille est vraiment flippante, quand même.
Bon, à l’origine j’étais venu pour aller dans le temple de Nanna… c’est lui que je dois servir, personne d’autre. Enfin, en priorité quoi…
Je m’enroule à nouveau dans la cape et m’empresse de sortir du bâtiment, dont l’ambiance commence à m’étouffer. Je prends le chemin qui commence à m’être familier, dans la forêt, puis débouche dans la clairière de poussière. Je me débarrasse du vêtement d’hiver qui me tient désagréablement chaud, et me mets à genoux devant l’autel.
— Dites, Nanna… c’était vraiment obligatoire, cet accoutrement ? Vous savez très bien que j’obéirai à vos ordres et que vous n’avez qu’à demander, alors… m’habiller de la sorte, était-ce vraiment nécessaire ? C’était vraiment gênant…
En plus j’étouffe, là-dedans… Mon dieu a manifestement un sens de l’humour bien à lui…