L'
aube se lève et la savane s'éveille. Si l'Afrique est un théâtre, alors c'est en Tanzanie que se joue l'une des plus belles pièces. Un nouvel acte commence et les acteurs entrent en scène. Petit à petit les plaines s'animent. Tous – et ce, sans exception – suivent ce rythme qu'est La Vie. Cruauté et Poésie s'entre-mêlent. Ici les places sont chers, mais dans ce chaos séjourne toujours un semblant de paix. Alors le Fauve contemple et profite de ce spectacle qui – chaque matin – se présente à elle. Fauve sous sa tenue de Fauve. Une bête parmi d'autres. La Créanne se plaît ainsi. Sauvage. Libre.
Rares sont les « Protégés » qui s'aventurent ici. Ils se préfèrent en Ville. Les Hommes se terrent sous un amas de béton froid et difforme, bien à l'abri. Ils renient la Nature et la Terre. Et en échange de quoi ? Rien. Ce n'est que du superficiel. Les Humains sont des sots, peu des uns rattrapent les autres. Alors le Fauve s'éloigne de cette faune. Avec sa solitude comme seule et fidèle compagne … la Créanne rode, en quête d'un semblant de calme et de repos. C'est qu'elle a aussi des limites notre Fauve. Parfois c'en est trop et elle s'impose une pause. Alors la voici.
La Créanne a regagnée son refuge, recouvre ses forces et son énergie. Le Fauve attend. Elle attend que ses récentes blessures ne deviennent que cicatrices. Le Léopard a gagné le couvert des arbres. Les hautes herbes s'intègrent à son magnifique camouflage et donne un sentiment de sécurité à l'animal. Un vent chaud se lève. Les pattes du Fauve s’enfoncent dans la terre. Elle perçoit les moindres vibrations. Ce lieu devient son domaine. Son contact la rassure et l'apaise. Le temps d'un instant la Créanne se relâche, le sommeil la gagnerait presque. C'est donc ça … la Paix.
Et puis elle apparaît. Une présence douce, réconfortante et familière. Fauve le sent. Fauve le sait. C'était – depuis sa naissance – imprégné en elle. Cette présence était la sienne. Nin Hursag. Le Fauve se libère de Morphée, ses yeux sont à nouveau ouverts. Son regard vagabonde et croise – inévitablement - celui de son Maître. Fauve se fige. Si c'est un Rêve, alors elle le trouve plutôt cruel. L'animal soulève son corps endolori et fait face à l'apparition. Sécurité perdu. Inquiétudes retrouvées. Oreilles plaquées à l'arrière et mouvements lents. Babines légèrement retroussées, une bien trop maigre consolation. Fauve est perdue et apeurée. Elle l'a – à ses yeux – si longtemps cherché et voilà qu'il apparaît de lui-même à ses côtés. Dame Fortune s'amuse on dirait.
La Créanne détail en silence l’intéressé. Ce Dieu rayonne. Ce Dieu n'est que prestance. C'est donc à cela qu'il ressemble … Fauve peut enfin mettre un visage à celui dont elle issue à présent. Le visage de celui qui – suppose-t-elle - a orchestré sa traque durant ces deux ans. Qui est-elle. Là est tout le problème. Une Créanne. Un déchet. De la fascination on passe subitement à la colère. Le Fauve est triste et amer. Elle aurait tant aimée que cette réponse soit connue de son Maître … Mais son Dieu est bien loin de tout ça, ou n'en a que faire. Elle le déteste et pourtant, il est et reste son Maître. Tel un chien à qui on inflige des coups. Fauve revient et espère toujours. La Créanne rengaine alors ses « armes » et s'extirpe de sa forme animale. Le sourire bienveillant de Nin Hursag la calme et le silence se brise. Enfin.
- Nin Hursag. Comment faire autrement...Dit-elle doucement. Fauve n'est plus un Fauve, mais une enfant. Faible et insignifiante.
- Pourquoi êtes-vous venu ? Pourquoi maintenant ? Ses mots sonnèrent comme une complainte. Si seulement cela avait été – dés le départ – aussi simple. Elle se serait épargnée bien des tourmentes et bien des combats. Au lieu de ça, elle dut attendre. Attendre que son Maître ne daigne s’intéresser à elle, ne serait-ce qu'un instant.
N
in Hursag, le Souriant. Fauve avait donnée bien des visages à son Dieux durant ces deux ans, mais elle ne se l'était jamais représenté comme quelqu'un de particulièrement avenant. C'était idiot en un sens. Fauve ne conserve après tout que peu de souvenirs de sa naissance. Quelques images – tout au plus – revenaient les premiers temps. Un Monde de rocailles, un monde de silence. Une silhouette – ou plutôt une ombre – y veillant constamment. Fauve s'était contentée de ça durant un temps. Et puis ces maigres souvenirs se dissipèrent eux aussi. Du réconfort on passa à un profond malaise, poussant le Fauve à se mettre en quête. En quête de réponses, en quête de vrai. Mais il fallut que les Émissaires s'en mêle. Sa frustration devient colère et le Fauve – jusqu'à lors passif – devient particulièrement mauvaise. Elle en dirige une partie à l'encontre de Nin Hursag, le suppose responsable. Que voulez-vous. Fauve est incomplète. Elle gère encore mal les émotions Humaines et s'emporte facilement. Et maintenant. Maintenant Fauve se sent bête. Bête de s'être montrée aussi amère. Le Fauve détourna le regard.
« Vous n'avez pas à l'être. Vous êtes un Dieu. » Dit-elle calmement, retrouvant un semblant d'assurance. Fauve reste un Fauve et rebondi aisément.
« Et c'est à vos protégés que j'ai eu affaire. » Souffle-t-elle.
Les Émissaires. Là encore c'est toute une histoire avec ces mortels. Fauve a déjà eu affaire avec quelques protégés de Nin Hursag. Elle respecte la plupart d'entre eux et n'a jamais tuée d'Humains. Eux ne sont pas toujours aussi tendres, mais elle les comprend. Les Créannes tuent les Émissaires et ne font pas toujours dans la dentelle. Ce n'est pas le cas de Fauve, mais très vite naquit la bien étrange politique du : Sait-on jamais. De ce fait et dans la mesure du possible, elle évitera les combats. Mais son aversion envers les Émissaires n'en reste pas moins présente, viscérale. C'est sûrement ce qui la perdra. Fauve se préfèrera chasseresse que proie, et peu importe ladite proie dés que le Fauve sort de sa cage. Si elle évite autant la compagnie des Hommes, ce n'est donc pas pour rien. Sa solitude la ronge autant qu'elle la préserve en fin de compte.
Un instant perdue dans ses pensées, c'est Nin Hursag qui la ramena à la réalité. Il posa une de ses mains sur la tête de Fauve, provoquant chez elle un sursaut. Surprise. Prise de court. À son contact l'animal se détendit complètement et toute fatigue disparue en un instant. C'était plutôt agréable, mais Fauve se gardera bien de le dire à ce moment là. Fauve est un Fauve, pas un chien. Quoi qu'un peu plus docile.
Elle le contemple à nouveau, sans dire un mot. Sa présence la rassura, son aura l'apaise. Elle le détail à son tour. L'homme est beau, mais c'est le moindre des privilèges pour un Immortel. Un visage paré d'un magnifique sourire et sans âge. Un regard doux, mais quelque peu mélancolique. La Terre souffre. La Terre subit. Fauve le sait. Elle a bien vu que ce que l'être Humain lui fait subir. Ils creusent un peu plus, la détruise. Plus ils en ont et plus ils réclament. L'Homme est un poison. L'Homme est égoïste. Et puis, le silence se rompt. Un nom ? Oui et non. Il y avait Al-Misrî, l’Égyptienne. C'est ainsi que les nomades – ceux qui la recueillirent – la nommèrent. C'est plus un signe d'appartenance à la troupe qu'autre chose en fait, et seul le « clan » en question le connaissait. Non. Il n'y avait bien que ce surnom...
« Fauve. » Répondit-elle doucement. « Tout le monde m'appelle Fauve. »
Elle leva les yeux en direction de la main de Nin Hursag, celle-ci toujours posées sur sa tête. Elle recula donc légèrement celle-ci et s'en délivra.
« Et désolée pour "ça". Je suis dure au réveil. ». Ajoute-t-elle calmement. Elle parlait bien évidement de son attitude plutôt farouche et menaçante. Ne trouvant qu'un trait d'humour en guise de pirouette sur le moment. La Créanne s'assit. La jambe droite en tailleur et la gauche repliée contre elle-même. Ses mains se joignirent entre-elles et se posèrent à son genoux gauche, ainsi présenté à hauteur du torse.
« Vous êtes bien différent que dans mes souvenirs... Mais c'était il y a deux ans, et dans d'autres circonstances. » Dit-elle doucement dans son mouvement.
F
auve ne détourna pas son regard du sien, mais fut prise de court par la question de Nin Hursag. Quel sentiment. Étrange, cette question ne lui avait jamais effleurée l'esprit jusqu'à maintenant. Elle n'y avait même jamais donnée grande importance. Peut-être parce que les émotions humaines, en seulement deux ans, ne s'étaient pas encore imbriquées en elle correctement. Et lorsqu'un flot se déverse sur Fauve … elle se ferme, tout simplement. Elle se sait ingérable et dangereuse autrement. Fauve se sait depuis le début victime de terribles coups de sang. La Créanne ne dit mot, réfléchit. La Quiétude dit-il ? Impossible, ou alors elle était sacrément bien enfouie. La Tranquillité, au pire. Fauve se raccroche à ses premiers souvenirs. À sa naissance, qu'avait-elle ressentie ? Quel « sentiment » avait semé ses graines et, année après année, enfonçait plus profondément ses racines. Fauve trouva et eu un sourire gêné.
« Solitude » Dit-elle d'un ton faussement amusé et détaché.
Il est vrai que la plupart des Créannes sont confrontés à cela. Le fait qu'ils ne subissent d'aucune manière le poids des âges leur impose une vie de baroude, à l'écart des Humains – Et loin des Émissaires, au passage. Lorsqu'elle avait été recueillie par les nomades, elle savait d'ores et déjà tout ça. Et même leurs anciennes croyances n'auraient rien changées à cela. La séparation était inévitable. En revanche, Fauve admet qu'elle a beaucoup apprit auprès des nomades. Leur simplicité l'a touché. Elle les respecte et espère que ce peuple et ces coutumes survivront aux affres de la guerre.
Toujours est-il Fauve ne s'en est jamais plainte. En fait, elle se complet dans ce sentiment là. La Solitude la pèse, mais ne la ronge pas. Sordide et fidèle compagne. Même Fauve dans sa tenue de fauve l'entretient. Un léopard vit seul, ne dépend de personne. Elle n'a même jamais croisé d'autres membres de son espèce. Menacée, pour ce qu'elle en sait. L'Afrique est petit à petit puisée dans ses richesses. Le Terre est éventrée. Des populations sont décimés. Conflit stupide entre deux ethnies. Pourquoi l'Homme s'entre-déchirent ainsi. Ne sont-ils pas tous d'une même espèce eux-même. Stupides. Égoïstes. Des enfants gâtes et pourris. Les Dieux pardonnent, subissent. Cette simple perspective la raidit. Changeons de sujet, très vite, avant qu'il énerve un peu plus notre amie.
« Est-ce que ça vous revient maint- » Fauve s'interrompit et fixa un point éloigné de la prairie. Au loin un épais nuage de poussière se levait. Une jeep en déduit-elle. Des gardes-forestier ? Elle en doutait. Cet endroit n'a rien d'une réserve. Le poil du Fauve se hérisse, elle n'aime pas ce genre de visite … Les muscles de la Créanne se raidirent. Si ils s'aventurent un peu trop près, ils risquent d'avoir des surprises … Fauve n'est pas agressive, mais impulsive. Elle tient à sa tranquillité et n'hésitera pas à se faire comprendre si ils insistent.
« D'autres de vos protégés ? » Ironise-t-elle, un peu acerbe. Elle ne lui reproche rien, mais admettez quand même que certain sont mieux lotis que d'autre et en profite bien. Fauve resta cependant à sa place. Si elle répondait aux moindres attaques et provocations de la part des Hommes, elle n'en finirait pas. Et elle n'avait pas particulièrement de s'emporter en présence de Nin Hursag. Alors on attend. On attend ladite goutte qui fait déborder le vase.
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