Je regarde la boule d'argile grise qui tourne sur le plateau devant moi, prenant forme sous mes doigts. J’aime travailler la glaise, ça m’occupe les mains et l’esprit. Je peux détourner mes pensées de ma colère, de ma rancœur qui se fait chaque jour un peu plus forte. J’ai parfois peur qu’un jour elle n’explose comme un de mes volcans, comme l’autre jour à Stockholm.
La terre humide prend peu à peu la forme d’une cruche complexe, aérienne. Je dois encore la décorer, lui donne une couleur peut-être. Une nuance bleu vert me vient à l’esprit et je souris. Pourquoi pas ? J’aime la couleur de la mer, je passe le bout de mes ongles le long de la surface encore humide pour former un motif de vague. Je la donnerais à Enki.
Quand j’y songe je ne l’ai pas vu depuis un moment, entre lui qui est pris dans sa surcharge de travail et moi qui n’en ai pas toujours envie… ça s’avère souvent difficile de se croiser. J’apprécie le dieu de l’eau, seulement son caractère maniaque m’agace. Je ne regrette pas de l’avoir quitté il y a si longtemps déjà, mais je ne regrette pas non plus les moments passés ensembles. J’ai gardé de l’affection pour lui, il reste quelqu’un que j’apprécie et respecte… Malgré son penchant pour la boisson. Depuis quelques années le marché de l’alcool a pris un certain envol ce qui n’a d’ailleurs pas vraiment arrangé les choses. Personnellement je préfère fumer que boire, j’aime les petits cigares forts que j’achète dans une petite boutique à Cuba.
Je regarde la poterie  et fais apparaitre un petit bol rempli d’un colorant métallique bleu, du cobalt, que je mélange avec un peu d’eau avant de l’étaler soigneusement sur la surface de la carafe avec mes doigts. Le résultat sera sûrement un peu inégal mais c’est le but recherché. J’espère que ça plaira tout de même.
Je termine et la pose sur une pierre plate au soleil pour la faire sécher. Mes mains sont couvertes d’argile et de colorant bleu ce qui contraste avec la couleur de ma peau. Je retourne dans mon temple me rincer au ruisseau qui court entre les racines de mon arbre et se teinte d’azur. J’ai encore un peu de colorant sous les ongles et je souris en coin. Ce n’est pas le genre de chose qui arriverait à Enki… Je préfère fabriquer moi-même mes objets de cette façon que les créer par magie. J’imagine que ça vient de ma fonction.
Je laisse la poterie sécher quelques heures avant de me matérialiser au bord de l’Océan Indien, quelque part dans le désert gelé de l’Antarctique. Comment attirer son attention ? Je ne vais pas l’appeler non plus ce serait grossier. Je soupire et libère un peu de mon énergie qui se met à courir à la surface du sol comme une onde de choc. Viens donc me voir cher époux. J’ai envie de parler.

Je regarde un instant l'eau frémir à mes pieds, signe que je commence à me crisper devant mon bureau, dont d'ailleurs, la plupart des fleurs est recouverte par un dossier ou un autre. Depuis quand exactement suis-je assis là ? Un petit verre s'impose après tout ce dur labeur non ? Je pose mes lunettes sur la surface plane, envoyant d'un coup de poignet les dossiers retournés dans leur coin. Mes yeux se perdent sur le bout de roche qui s'écarte pour dévoiler une rangée de dossiers interminable. Il est rare que j'arrête volontairement mon travail puisqu'en général Daniel ou Téméro s'en chargent, tout en me rappelant d'éviter de me servir un verre dans les heures qui suivent pour continuer de travailler, enfin, c'est surtout Daniel ça. Mais étrangement, aucun d'eux ne s'est manifesté depuis plusieurs jours, j'irai leur rendre visite cette nuit peut-être. Je suis sur que même Daniel ne refuserait pas un verre de temps en temps, il est humain tout de même.

J'écoute d'une oreille distraite la cascade au loin, tout est très calme, pourtant l'eau continue de frémir à mes pieds, se calmant seulement quand je laisse la plante de mes pieds effleurer une des nombreuses plateformes sablées éparpillées un peu partout. Plateforme qui se met à vibrer faiblement, j'ai une invité, ou plutôt, un invité. Quelque chose de rare, ou plutôt d'inhabituel puisque je ne quitte jamais vraiment ma paperasse. Bien qu'évidemment, j'ai de quoi largement me détendre entre les lianes qui forment mon bureau. Ce que Nin a tendance à abhorrer, bien que je ne vois pas le mal à boire plutôt que fumer, même si l'alcool me bat rapidement. Je me matérialise rapidement à ses côtés, souriant et engageant rapidement la conversation.

" Nin, c'est rare de te voir ici. Que me vaut cet honneur ? "

Tout est à nouveau relativement calme. Même si l'eau est un peu plus agitée ici qu'à l'intérieur, elle ne peut pas être claire et silencieuse partout heureusement. Un cou d’œil à Nin me suffit pour voir ses ongles sales et abîmés, chose que je n'ai jamais vraiment compris, ce besoin de travailler avec ses mains alors qu'avec un simple mouvement de la main ça revient au même.

" Qu'as-tu donc fait cette fois-ci pour récolter cette plaisante couleur bleue sous tes ongles ? "

Je songe un instant au fait que Nin a été le premier touché par le désintéressement progressif des hommes pour leurs Dieux. Ce n'est pas comme si les solutions existaient à chaque problème, celui-ci reste l'un de ceux qui sont irrésolus pour le moment. Je doute que les hommes s'intéressent à nouveaux à nous un jour d'ailleurs. Ce qui contribue au caractère de chacun, y compris à celui plus violent sûrement de Nin, et celui plus renfermé de Nanna.

Il se matérialise à mes côtés et je lui fait un sourire amusé. Il est toujours égal à lui-même : un visage neutre, bien coiffé et habillé. Il ne change pas vraiment, comme moi. Il devait être en train de faire une pause pour une fois, si je l'avais dérangé en plein travail il aurait râlé que je le dérangeais.

" Nin, c'est rare de te voir ici. Que me vaut cet honneur ? "
-Je passais simplement dire bonjour. Il y a un moment qu'on ne s'est pas vu et je pensais qu'une pause dans ton travail ne te ferait pas de mal.

Je souris en coin en voyant son regard glisser sur mes mains. Je retiens un rire devant sa moue perplexe, pour quelqu'un comme lui ça parait étrange de se casser la tête à fabriquer soi-même un objet imparfait quand on peut en avoir un exactement comme on l'imagine d'un claquement de doigt. Je pense que c'est ce qui me rapproche des humains, j'aime pouvoir me donner du mal dans ce que je fais, quitte à ne pas être satisfait du résultat.

" Qu'as-tu donc fait cette fois-ci pour récolter cette plaisante couleur bleue sous tes ongles ? "
-Je créais cher Enki, en pensant à toi et j'ai voulu faire bu bleu.

Je tend mes mains devant moi et fais disparaître le colorant de sous mes ongles. J'aurais peut-être dû essayer avec du lapis, la couleur est moins violacée, plus proche de ce que je voulais obtenir. La cruche se matérialise dans mes mains et je lui tend avec un sourire amusé.

-J'espère qu'elle te plaira. Je ne l'ai pas vernis donc c'est plus un objet de décoration mais tu peux le faire si veux t'en servir.

La dernière fois je crois que je lui avais offert une monture de lunettes. Pas que j'aime lui offrir des cadeaux incomplets hein, mais il y a certaines choses que je ne sais pas bien faire, ou du moins qui sont moins réussies et précises que ce que peuvent faire les humains avec leurs machines.

Je souris, évidemment qu'il créait, comment aurait-il pu se salir autant autrement ? D'ailleurs la cruche qu'il me tend ensuite retient mon attention, il l'a fait lui-même, donc certains défauts persistent, je suppose que c'est ce qui lui donne sa valeur aussi. Je la prends et la détaille un moment, l'écoutant d'une oreille un peu distraite, je pourrais probablement demander à Daniel de le faire une fois qu'il se sera occupé de mon café, il pourrait même l'y mettre tiens.

" Hé bien je te remercie. Je suppose que tu n'es pas venu seulement pour ça n'est-ce pas ? Parce que si c'est le cas, je n'ai rien à t'offrir en retour dans l'instant. "

Ce n'est pas qu'il me dérange et que j'ai envie que tout ceci se termine au plus vite, j'ai simplement du travail qui m'attend et je me suis probablement arrêté assez longtemps. Pour autant, je n'ai pas forcément l'envie de le mettre dehors ou d'être désagréable, sa compagnie n'est pas non plus détestable, j'ai juste l'habitude d'être seul au milieu de ma paperasse. D'ailleurs, même quand Téméro ou Daniel me rendent visite à Stockholm ça reste quelque chose d'étrange, même si m'amuser un peu avec eux est toujours drôle.

" De quoi voulais-tu donc parler Nin ? "

Je fais disparaître la cruche irrégulière, elle devrait probablement se trouver quelque part près de mon bureau maintenant, ce serait dommage de la perdre de suite. Je m'installe sur une portion de glace plus élevée que les autres, j'y serai plus à l'aise et Nin aussi si l'envie de s'asseoir lui prend. Son visage à l'air relativement détendu, je suppose que la conversation ne prendra pas mauvaise tournure, ça m’ennuierait que ce soit le cas d'ailleurs. J'espère qu'il ne vient pas m'apporter un peu plus de travail, ça n'est jamais le moment mais bon, si je pouvais en avoir le moins possible là, avec Daniel qui part en vacances et que je ne pourrais que peu déranger, ça m'arrangerait, vraiment.

Je souris en coin à sa réflexion. M'offrir quelque chose en retour... Ce serait inutile, vraiment. Pour nous qui n'avons aucun besoin matériel ce que je fais n'a aucune valeur autre que sentimentale, je fais ces objets pour m'occuper. On a beau avoir une conception différente du temps on ne s'en ennuie pas moins quand on a rien pour s'occuper.

" De quoi voulais-tu donc parler Nin ? "

Je l'observe alors qu'il transporte la cruche autre part, sur son bureau probablement, avant de s'installer sur une saillie de glace plus haut. Je hausse un sourcil et fait de même en face de lui avec un petit sourire. De quoi je voulais parler... Bonne question, avais-je vraiment une raison de venir autre que de simplement le voir ? Il n'a pas changé là dessus, toujours obsédé par son boulot. C'est une des choses qui m'agace le plus chez lui, il est assez difficile de lui tirer le nez de sa paperasse quand ça n'a aucun rapport avec... le boulot. Et là on touche malheureusement à ce qui fait la nature profonde d'Enki : son travail. Pas que je pense que le travail n'est pas essentiel, celui d'Enki encore moins, mais parfois un peu de repos ne fait de mal à personne. D'ailleurs on a vu ce que ça donne : après à chaque fois qu'il se laisse aller il fini sous la table. Ahem, il faut que je me calme j'ai mon instinct maman poule/ex-épouse chiante qui reprend le dessus là.

-De rien en particulier, j'avais simplement envie de prendre de tes nouvelles. Ça t'arrive encore de faire la conversation à quelqu'un d'autre que tes émissaires dis moi ?

Et encore faire la conversation... Je me demande bien de quoi ils peuvent parler. Quand j'y repense, depuis le temps que je connais Jake, et à l'échelle humaine ça commence à faire un certain temps, je me rend compte que j'ai encore des choses à apprendre sur lui parfois. Et même sur les gens que je croise en général. Ce n'est pas parce qu'on est un Dieu qu'on sait tout, il ne faut pas croire.

-Il y a quelques semaines j'ai croisé une de mes créannes d'ailleurs. Une jeune femme très intéressante, contrairement à d'autres que j'ai pu croiser elles n'était absolument pas agressive, à peine méfiante.

Une personne très curieuse cette Fauve mais pas moins captivante. Seule et solitaire, comme j'ai parfois pu l'être en effet, mais aussi avec une intelligence vive et un lien avec la nature que j'ai su apprécier à sa juste valeur. Bien des Créannes ne se soucient parfois que de violence sans prendre gare aux dégâts qu'elles causent sur leur passage. Elle était différente, attentive et tendue mais en même temps avec une certaine douceur dans son regard et un besoin de reconnaissance qui m'a surpris. Je crois que j'ai rarement vu ça chez les créannes c'est même très rare, la plupart du temps elles sont plutôt neutres que "de notre côté".

Je me retrouve soudainement déstabilisé, sans le montrer, parce que parler d’autres choses que de mon travail est devenu tellement rare que ça doit se compter sur les doigts d’une main. D'ailleurs, je ne sais pas si nos échanges, que ce soit avec Téméro ou Dani, puissent être qualifié de conversations. Bon, Daniel tente en général de rendre ça plus… En fait non, c’est lui qui se tâche d’écourter au maximum nos entrevues. Bon, hé bien même si mes émissaires me laissent tomber hein.

“ A vrai dire non, mais je me doute que tu le sais déjà. Ce n’est pas comme si j’avais beaucoup de temps à consacrer à ce genre de futilités n’est-ce pas ? Tu devrais voir à quoi ressemble mon bureau, on n’y voit rien que de la paperasse à des mètres à la ronde ! C’est épuisant d’être indispensable tu ne trouves pas ? ”

Je sais très bien que Nin exècre m’entende parler de boulot et de tout ce qui s’en approche, alors m’entendre m’en plaindre alors qu’au final je le fais avec un plaisir franchement bien caché… La force de l’habitude hein ? En même temps, c’est pas comme s’il avait franchement un boulot bien dur, une petite effusion par-ci, un séisme par-là. Pratique pour s’amuser et se venger de ceux qui le respectaient tant il y a quelques centenaires.

Je tends l’oreille en entendant parler de créanne, ça fait un bout de temps que j’en ai pas vu. Enfin, pour ça, faudrait déjà que je sorte, et c’est pas gagné. Je lève néanmoins un sourcil, intrigué, pas agressive ? C’est une première ça, j’aimerai bien en voir une qui n’essaierait pas de m’étriper. Non parce qu’il y en a qui essayent hein ! Je me demande si celles-ci savent se servir des deux neurones qu’elles ont. Honnêtement, surtout en étant une créanne de premier ordre, on ne peut pas même penser venir provoquer un Dieu pour le réduire en charpie, c’est stupide et insensé. Enfin, heureusement, ça n’est pas le cas pour la totalité d’entre elles, certaines préfèrent vivre tranquille dans leur coin et ne se mêler de rien, ce qui franchement m’arrange.

“ Étonnant. ”

Je laisse un silence agréable s’instaurer, je n’ai plus l’habitude de parler d’autres choses que de mon travail. Et ce n’est pas comme si je voyais souvent du monde, on reste chacun dans notre coin, on s’occupe comme on peut. Un instant je regrette ces grandes fêtes que nous organisions fréquemment il y a un sacré bout de temps maintenant.

“ Je dois avouer que je n’en ai plus vu depuis un bon moment. Peut-être préparent-elles quelque chose… ”

J’enverrai bien Dani s’en occuper à son retour, ça va l’ennuyer mais ce n’est pas comme si je lui offrait souvent de quoi se balader dans le Monde juste pour jeter un œil aux créannes. Je suppose qu’il se consolera en nous débarrassant des nouvelles les plus virulentes.

Je souris en coin, je me rappelle très bien du bureau d'Enki, enfin de ce qu'on en voit sous la montagne de paperasse. J'y passe encore parfois quand je dois régler une histoire... Administrative dirons nous. Mais sinon je préfère quand même largement le voir autre part. Je le respecte beaucoup pour tout ce qu'il fait, la masse de travail qu'il doit faire chaque jour est juste énorme et je sais que personne à part lui ne pourrait le faire. Je me demande si Enlil lui a un jour permis de prendre des vacances d'ailleurs mais j'en doute.
Des vacances dans un pays chaud ouais parce l'antarctique... Fin j'ai rien contre le froid personnellement mais comment dire... C'est pas pour rien que j'ai un faible pour le désert et l'Afrique on dira. Je ne ressent pas le froid bien sur, je suis un Dieu, mais le gel c'est toujours beaucoup moins agréable que le chaud. Mais bon après Enki c'est l'Eau et l'eau bah c'est pas forcément quelque chose de très chaud. Quoi que le géothermie c'est assez cool comme concept, le geyser, les sources thermales et tout ça. Comme quoi il y a quelques mariages heureux entre lui et moi.
Je lui adresse un sourire amusé quand il relève ce que je lui dit sur Fauve. Cette jeune fille est étonnante d'ailleurs : la plupart des créannes que j'ai rencontré s'enfuient ou cherchent l'affrontement. Elle, a été tout juste méfiante et tendue au début, elle n'a même pas tenté de partir. Et son apparence de Léopard... Le clin d'oeil me plait énormément parce que si je me transforme en animal c'est un de ceux que je choisis souvent. J'aime beaucoup les félins bien que je trouve qu'Inanna corresponde aussi très bien à ce type d'animaux.

“ Je dois avouer que je n’en ai plus vu depuis un bon moment. Peut-être préparent-elles quelque chose… ”
-Tu crois ? Je sais qu'elles peuvent inquiéter nos missionnaires mais je ne vois pas trop pourquoi on devrait s'en méfier. Ce n'est pas comme si elles pouvaient quoi que ce soit contre nous.

Ce n'est pas orgueilleux de penser ça, bien qu'elles soient issues de Dieux les Créannes, même Anciennes, sont loin d'avoir beaucoup de pouvoir. Ou tout du moins pas assez pour nous atteindre.

-Bah, si ça se trouve leur activité a juste ralenti. Je ne pense pas qu'il y ait de quoi s'inquiéter.

Enfin pour être sûr je demanderais à Jake de me faire un rapport plus tard. Il est concis et pertinent quand il s'agit de son boulot, c'est quelque chose que j'apprécie beaucoup chez lui. Il me ressemble pas mal d'ailleurs d'un point de vue caractère, c'est tout de même assez rare que ce soit à ce point bien que nous ayons toujours des ressemblances avec eux. Après tout on ne choisit pas comme missionnaire quelqu'un avec qui on ne peut pas s'entendre ou qui n'a pas certains points de vue.

Je sais que Nin a raison, elles n’ont aucun poids de toute façon, le mieux qu’elles puissent faire c’est créer davantage de médiums et de problèmes à nos missionnaires. Je ne m’en fais pas tant que ça, j’aime simplement être au courant de tout, avoir le contrôle sur la majorité de ce qui pourrait arriver. Déformation professionnel hein ?

“ Ça fait un moment que j’ai pas été faire un tour autour du globe. ”

Un sacré bout de temps même en réalité. En général je charge Daniel de faire ce dont j’ai besoin, ça m’évite de quitter mon Royaume, de perdre du temps à me balader. Mais prendre l’air fait du bien parfois… Je jette un œil à Nin, probablement un de ceux qui bougent le plus, c’est pas en restant derrière mon bureau que je rencontrerai une de mes Créannes. J’ai déjà eu du mal à me trouver des missionnaires, un petit nouveau me tente bien tient, ça fait un moment maintenant.

“ J’aimerai bien avoir un de leur… drône je crois. Histoire de surveiller un peu le monde à distance. ”

Mon cerveau tourne à vive allure, j’essaye déjà de voir tout ce dont j’aurai besoin, des aménagements. Le plus contraignant restant le besoin en apport d’électricité, je ne peux pas en faire parvenir dans mon royaume, bonjour les électrocutions derrière pour les pauvres fous qui tenteraient de venir jusque là. Je trouverai un moyen, au pire Steek n’aura qu’à s’en charger, il dépensera son argent de manière utile pour une fois, ça changerait.

Je m’amuse avec l’eau et la glace un moment, le mouvement m’aidant à me concentrer davantage, il faudrait, si ça se concrétise, installer tout ça dans un coin calme et vide de l’institut. Quasi improbable… Je soupire légèrement et me lève, il faut que je retourne travailler, certes la compagnie de Nin est agréable, il n’en est pas moins que la paperasse finira par prendre poussière si je la quitte davantage.

“ Je resterai bien avec toi, mais tu sais ce que c’est hein. ”

Je me défile, encore, j’ai juste la chance de ne pas prendre les reproches de ces moments-là dans la figure. Je suis certain que je croulerai sous une montagne de méchancetés.

Un tour du globe hein. Oui c'est intéressant parfois de faire un tour mais j'en ai moins besoin étant donné que je sais presque tout ce qui se passe à la surface de mon corps. C'est une sensation assez particulière, comme un fond diffus ou un bourdonnement d'oreille. Une pensée parasite mais en même temps tellement plus que ça. Si je devais tenter une comparaison ce serait ce que ressent un arbre qui abrite une colonie de fourmis. Ce n'est pas toujours agréable quand ils fouillent à des endroits où ils ne devraient pas pour récupérer des ressources. A une époque ça ne me posait pas de problème, j'acceptait de leur laisser une partie, de partager. Mais ils sont devenus de plus en plus avides et mes ressources ne se renouvellent pas. Je ne suis pas comme Inanna qui peut faire repousser des arbres ou Enki dont le cycle de renouvellement de l'eau est infini, un jour je n'aurais plus rien quand ils m'auront tout pris.

“ J’aimerai bien avoir un de leur… drône je crois. Histoire de surveiller un peu le monde à distance. ”

Je souris en coin, amusé. C'est vrai qu'avec son domaine d'influence il ne doit pas voir grand chose des activités humaines enfin à part les voies maritimes et les côtes bien que ça représente une grande partie de ce que font les humains.

-L'électronique c'est très surfait je trouve. Ca tombe tout le temps en panne je préfère le côté magique des chose, je fais avec un sourire amusé.

Enfin magique... Quand j'ai besoin de quelque chose et que je n'ai pas envie de me déplacer dans mon royaume j'utilise des golem. Ils ne sont pas intelligents mais c'est utile pour les choses qui demandent peu de précision comme déplacer des objets.
Je le regarde jouer un moment avec l'eau un moment et songe un instant à ce que je pourrais faire de cette manière pour mes prochaines créations, ça donnerait surement quelque chose de plus lisse. Il veut déjà partir ? Je soupire doucement et roule des yeux. Toujours aussi pressé de se remettre à travailler. Bien que je comprenne qu'il n'a pas envie que ça s'accumule il pourrait se détendre un peu de temps en temps.

-Tu ne veux pas faire un tour avant de retourner t'enfermer dans ton bureau ? On se parle pas souvent j'aimerais bien en profiter un peu pour une fois quand même.

Je me lève à mon tour et lui sourit. Bah tant pis s'il dit non je pourrais bien me trouver quelque chose à faire. Je trouve ça dommage mais bon je sais qu'il n'a pas non plus de préférence pour ma compagnie, dans le panthéon il est plus proche de Nanna par exemple.

Le côté magique hein ? C’est pas que j’aime pas les golems ou tout autres choses, c’est juste… Incomplet, il manque un truc quand je les fait, ou peut-être que je suis juste pas doué avec ces trucs là. Quoi qu’il en soit, puisque je gère pas la confection de ce genre de machine, je pourrais pas me sentir frustré si ça fonctionne pas comme ça le devrait. Non ? C’est pas le moment d’y penser de toute façon, je verrai ça plus tard, enfin, pas trop tard non plus ce serait bien. Je soupire à la demande de Nin, mais c’est vraiment dur de lui refuser quelque chose, bien que ce soit encore plus difficile quand il s’agit de Nanna.

“ Au point où j’en suis… Tu m’emmènes où alors ? ”

Je suppose qu’un pays chaud va le tenter le connaissant, enfin, pas qu’ils me déplaisent particulièrement, j’apprécie beaucoup les différents paysages d’ailleurs. Mais le silence des coins froid me met plus facilement à l’aise, plus rapidement en condition pour travailler, ce que Nin va forcément chercher à éloigner. Et ce que je comprends parfaitement. C’est pas pour rien qu’ils viennent tous de temps à autres me sortir de mon temple, je le sais, et plus le temps passe, plus ça devient dur de le leur refuser. C’est plus facile d’éviter les tensions, ce qu’ils devraient d’ailleurs faire.

“ Ça fait longtemps que j’ai pas été dans l’hémisphère nord. Pas toi ? ”

Enfin, longtemps c’est vite dit. Juste histoire de me donner contenance et de ne pas le laisser se débrouiller tout seul. Je dois quand même avouer que me déplacer ne m’enchante guère, je passe toujours devant quelque chose qui retient mon attention et qui me fait oublier mon travail. Il suffit parfois juste d’un courant minuscule entre deux bouts de forêts et l’envie d’en faire quelque chose de plus harmonieux et élégant s’impose. Je suis certain que Nin doit avoir un problème de ce genre aussi, jouer avec la terre et modeler un truc. Enfin, ça de toute façon il le fait souvent.

“ Je te laisse me montrer le chemin. ”

Je me place à peine derrière lui, reculant d’un pas. Allez Nin Hursag, montre-moi quelque chose d’intéressant. Parce que la honnêtement, rien ne me vient, et c'est pas juste de la mauvaise fois, je l'assure. Enfin, peut-être juste un peu, parce que mes coins préféré ne lui conviennent pas forcément. Faut dire que le voir se retrouver entourer d'eau avec ses petites îles de sable fin est assez amusant parfois. Après tout, on s'est toujours bien entendu non ?

Je réfléchis un instant, pensif. Où pourrais-je l'emmener ? Un endroit sympathique pour se détendre et lui aérer la tête mais pas trop bruyant non plus. Une petite ville ? Peut-être. Ou une plage peut-être histoire d'être ne terrain partagé. J'avoue ne pas voir d'idée originale là, en général quand j'en cherche une je me laisse guider par mes envies mais il n'a pas forcément les mêmes que les miennes.

“ Ça fait longtemps que j’ai pas été dans l’hémisphère nord. Pas toi ? ”

Je hausse un sourcil amusé, l'hémisphère Nord donc. En Europe peut-être histoire de ne pas me faire embêter pour une histoire de territoire. Je me concentre un instant sur l'Europe, cherchant ce qu'il peut y avoir d'intéressant là bas en ce moment. Un endroit avec de l'eau peut-être et si possible avec un peu d'animation. Mon regard se porte sur le Royaume Uni et je fais la moue. Trop froid et humide pour moi je crois. Je descend plus vers le Sud et étire un sourire. J'ai trouvé, il y a un moment que je n'y suis pas retourné d'ailleurs c'est l'occasion.
Je sens Enki juste derrière moi et je n'ai aucun effort à faire pour l’entraîner avec moi alors que je nous transporte dans le Sud de l'Europe. Le paysage qui s'offre à mes yeux me tire un sourire joyeux. Nous sommes au sommet de l'Acropole, à Athène, et la mer scintille au soleil devant nous. J'ai toujours eu un faible pour la Grèce et sa culture. Ces gens là avaient une philosophie et une manière de vivre bien à eux.

-J'espère que ça te convient, je fais avec un sourire amusé. Je crois me souvenir que tu préfères le froid mais c'est toujours agréable de revenir dans nos anciens lieux de culte je trouve.

Je jette un oeil autour de nous. Bon je n'ai pas très bien visé, nous sommes en plein milieu d'un site classé et interdit au public. Si on nous voit ici, je vais encore devoir justifier de nouveaux médiums à Utu et j'ai pas envie. On a qu'à espérer que personne passera dans le coin.

J’essaye bien de trouver un lieu sympathique qui nous plaira à tous les deux, mais en réalité ça s’avère plus dur que je ne le pensais. Pourtant Nin se révèle être plus rapide que moi pour ça et je le suis rapidement histoire de ne pas le perdre de vue puisque je n’ai aucune idée d’où il compte nous mener. Même si je me rends rapidement compte qu’il a opté pour le Grèce. Un léger sourire étire mes lèvres, bien, ça fait un sacré bout de temps que j’ai pas fait un tour de ce côté-ci. Je hoche la tête à sa remarque, oui, c’est vrai, c’était un de nos lieux de culte il y a encore une bonne centaine d’années, enfin plutôt un millénaire même à vrai dire.

“ L'atterrissage est à revoir mais oui, c’est une bonne idée. ”

Je le taquine légèrement, amusé de constater la place non appropriée où nous sommes. Mais je doute que beaucoup d’humains s’attardent dans ce coin, ils ont probablement leurs petits trajets bien ficelés à suivre pour visiter les lieux, sous forcément comprendre où s’y intéresser.

“ J’ai l’impression qu’ils entretiennent de moins en moins leur passé, peut-être leur est-il plus simple d’oublier. ”

Je fais quelques pas vers ce qui ressemble le plus aux temples qu’on nous élevait il y a fort longtemps. Enfin, même si là, il ne reste plus probablement que des ruines. C’est dommage, ça avait l’air plus vivant et accueillant avant, la croyance meurt petit à petit hein. Je nous trouve pourtant heureux de vivre même sans tout ça, il ne manquerait plus que l’on disparaisse en même temps que leur foi, ce serait bien cruel et bien dommage, la vie, même éternelle, est si bien faite.

“ Ça ressemble à leurs sortes de … musée, tu ne trouves pas ? ”

Je me retourne vers Nin, la Grèce lui donne ce petit air, ce petit truc en plus, peut-être un peu de paix ou de mélancolie ou… Tout autre chose en réalité, ça n’est pas comme si je pouvais deviner non plus.

Je souris en coin. J'avoue que j'aurais dû trouver un autre endroit mais c'est ici qu'on a la meilleure vue. Tant pis pour les touristes, de toute façon ce n'est pas comme si on comptait abîmer quelque chose. Ce serait stupide de notre part d'ailleurs. Bien que nos temples soient maintenant à Stockholm je reste attaché à ce genre d'endroit. Pas que je sois spécialement matérialiste mais les temples c'est particulier. Enfin celui qu'on voit ici, le reste du Parthénon qui est le mieux conservé, était un temple d'Athéna. Je dois avouer que je m'y perd souvent un peu entre les différentes religions humaines. D'une à l'autre on gagne certains attributs ou on en perd. Mais globalement je crois qu'on peut assimiler Athéna à Inanna.

-Je ne sais pas. J'ai rarement eu un culte aussi important que le tien depuis Sumer. Je le regrette un peu mais je suppose que c'est aussi de ma faute pour l'avoir laissé décliner.

Ce déni des croyances n'est pas que de notre fait toutefois. Les humains se réfugient dans leur besoin de rationaliser, dans ce qu'ils appellent science. Ce concept me fait sourire. Ce qu'ils savent faire aujourd'hui serait apparu comme de la magie à une époque.

-C'est comme ça qu'ils le voient je suppose. Un témoignage de leur passé. Une vitrine à ciel ouvert où ils rangent leurs souvenirs.

Pourtant je me souviens encore des fêtes à Athènes. Quand l'Athéna Parthénos était encore là avant les pillages. La Grèce est une des civilisations que j'ai préféré. Plus que l'empire romain en tout cas. J'aimais bien l'Egypte aussi. C'est le genre de pays où je me sens à l'aise. Enfin maintenant beaucoup moins avec tout ce qu'il s'y passe.

-Parfois je me demande pourquoi nous sommes encore là. Si ils ont tous perdu leur foi en nous, comment pouvons-nous encore exister ?

Même nos missionnaires n'ont que faire de leur travail. C'est étrange de se dire qu'on existe en dépit du fait que seul une poignée d'élus humains croient en nous. Pas que je les dénigre, j'ai du respect pour eux, mais je me pose la question de l'utilité d'une telle chose.

-Je divague, excuse moi.

Je lui souris doucement et regarde la mer un instant. Il a toujours eu les yeux de la couleur de la mer.

Je me laisse un instant emporter par quelques souvenirs de grandes fêtes dans des temples semblables à ceux-ci, ces belles époques qui faisaient briller même le plus insignifiant des dieux inférieurs. J’ai la sensation que nous sommes dans une période où la religion et les dieux sont mal perçus, un peu comme lors de ces croisades de nombreux siècles avant, pourtant ça n’empêche pas une poignée d’hommes de toujours y croire avec ferveur et entretenir ces lieux si chargés d’histoire et de force.

_ Peut-être. Il faut dire que les hommes ont trop vite appris à prendre la terre comme quelque chose d’acquis et de contrôlable. Il est bon parfois de leur montrer qu’ils ont tort et que rien ne leur donne le droit d’oublier et de souiller.

La science, l’évolution. Ah, ces petites choses qui ont compliqués mon travail plus qu’il ne l’était avant. Que voulez-vous bien faire lorsque nombres d’hommes se liguent et se mettent à déformer les sols, polluer les liquides, avec ce qu’ils appellent la technologie ? Il n’y a plus autant de respect qu’avant, tout est bon s’il améliore encore leur confort, quand bien même les conséquences peuvent être désastreuses pour d’autres d’entre eux.

_ C’est qu’ils ont encore besoin de nous. Peut-être même vont-ils bientôt nous honorer à nouveau. Ce serait assez improbable, mais les hommes ne sont-ils pas pleins de surprises quand il s’agit des dieux ?

Après tout, ils ont commencés par y croire, même si aujourd’hui, la plupart est persuadé qu’il existe un Dieu unique qui régit tout ce qui se passe ici bas, une partie que l’on pourrait penser minoritaire est probablement encore et toujours entrain de prier de nombreux dieux pour diverses raisons : récoltes, santé, argent…

Je laisse mes yeux errer sur les restes de fresques et de pierres au plus haut point de ces monuments. Il faut avouer qu’ils ont une sacré force, ces humains, pour avoir érigé des temples de cette envergure à une époque où les rares outils qu’ils possédaient se limitaient à une masse et de l’argile.

_ Ne trouves-tu pas ça fascinant ? Qu’ils aient pu, à une époque, construire de telles choses, et ne plus en être capable aujourd’hui, malgré toute leur technologie ?

Je m’éloigne petit à petit pour rejoindre le point de rencontre entre ce sol d’argile et l’eau salée de la mer. J’observe un moment l’eau qui ne cesse de revenir caresser le sol de ses vagues. Un peu à la façon de Nin et moi-même, s’éloigner pour mieux se retrouver, ça aurait pu être exacte à une époque, plus maintenant. Nous nous tiendrons certainement côte à côte jusqu’au bout, l’un ne pouvant prendre le dessus sur l’autre, tout comme cette eau, incapable d’engloutir plus que quelques grains de sable.

Ha les hommes et leur arrogance. Ils m'étonneront toujours, à se croire les maîtres du monde. Pourtant le monde est tellement plus vaste que ce qu'ils pensent. Il y a tellement de vie sur Terre qu'ils ne connaissent pas. Ils ne sont rien à l'échelle du Temps. Un jour ils disparaîtront et nous aussi peut-être. Ce serait plaisant de faire tourner la Terre sans eux, de pouvoir enfin reprendre mes droits sur la nature et panser mes plaies.

-J'aimerais le croire. Mais depuis le début j'ai peur qu'on ne soit au final que voués à nous évaporer dans la brume de leur foi.

La seule qui pourrait y survivre est bien Inanna. Le Dieu Unique dont il aime parler est très lié à l'Amour et au sentiments. Il reste aussi quelques religions qui parlent de nous. En Inde surtout ils ont encore une tradition religieuse très forte qui est liée aux dieux. J'aime aller là bas quand je peux. Je m'y sent toujours bien accueilli.

Je me tourne vers le monument que je regarde avec un sourire. Pour un édifice qui a plusieurs milliers d'années, il est bien conservé. Aujourd'hui ils construisent encore de belles choses mais ce n'est rien d'impressionnant. Leurs calculs et leur design... Ils font tout artificiellement. Avant ils devaient construire tout en s'adaptant au terrain, aux aléas du climat. Parfois même tout s'effondrait et il fallait reprendre depuis le début.

-Il y a encore de belles choses. Tu as déjà vu cette église espagnole, la Sagrada Familia ? C'était un tour de force assez impressionnant.

Je le suis vers la mer avec un sourire. Je regarde un moment le mouvement des vagues et m'avance pour mettre mes pieds dans l'eau. Elle est fraîche, c'est agréable. J'ai toujours aimé la mer. Ce n'est pas mon domaine mais elle me rappelle un peu avant. Le bruit du ressac est apaisant. Je m’accroupis et prend une poignée de sable humide que je laisse couler entre mes doigts.

-J'aime toujours autant la mer. C'est dommage que ça se soit passé comme ça entre nous.

On formait vraiment un beau couple en plus. Mais bon, il faut croire que ça devait se passer comme ça et je ne regrette pas vraiment ma décision. C'était mérité.

Je ne regrette pas vraiment ma relation avec Enki. C'était une belle chose c'est sur mais au final je préfère qu'on en soit restés là. Quand on a l'éternité c'est dur d'envisager supporter les défauts de quelqu'un jusqu'au bout je crois. Et ceux de mon cher ex-mari on tendance à vite m'agacer. Même si c'est vrai que déjà à l'époque on ne se voyait pas souvent. Je souris en coin.

-Tu devrais en prendre le temps. On tombe parfois sur des choses assez intéressantes.

Mais bon je le connais. Il n'est de toute manière pas du genre à prendre ce temps là. C'est un peu triste. Où est l'intérêt de l'ubiquité quand on en profite pas ? Moi je ne m'en prive pas, ça ne m'empêche de faire mon travail. J'ai simplement pris l'habitude de me dissocier l'esprit sur mes différentes activités. Après je reste un de ceux qui sortent le moins. J'ai tendance à préférer rester chez moi. J'ai tout ce qu'il faut dans mon royaume intérieur même si ça n'empêche pas de s'ennuyer parfois.

Je souris doucement et me tourne vers la plage pour regarder le paysage. Athènes est vraiment magnifique. Elle a beau avoir perdu un peu de sa grandeur d'autrefois ça reste une de mes villes préférées. Je l'avoue j'ai un faible pour ces anciennes villes-états qui ont pu rayonner dans leur propre empire. Comme Venise ou Rome, Istanbul et Alexandrie. Y retourner me fait toujours plaisir. J'ai le sentiment de ne pas avoir été inutile. Je me lève.

-Avec plaisir, mais c'est toi qui choisis où aller.

J'avoue ne pas avoir trop d'idée là et au moins il choisira ce qui lui fera plaisir. Après tout on est bien sortis pour lui changer les idées. Je sais qu'il lui faut bientôt retourner travailler. C'est toujours ainsi que les rencontres se terminent. L'appel du devoir. J'ai moi aussi quelques choses à faire même si il me reste un peu de temps.

Prendre le temps de sortir et me mélanger à tout ce qui vit sur cette planète, aux hommes aussi, c’est plutôt une bonne idée. Quelque chose à envisager qui se réalisera probablement un jour, quand, ça c’est une bonne question. De toute façon, nous savons l’un comme l’autre que le jour où j’irai me balader au milieu d’une ville grouillant d’humains ne va pas arriver de si tôt.

Je sais que je suis celui qui a proposé de terminer notre rencontre par un dernier tour, mais les lieux agréable à visiter sont si nombreux que j’ai un peu de mal à en choisir un. Il y en a tant qui inspire le calme et la volupté, d’autres qui nous inspire encore cette relation particulière qui existe encore entre la Terre et l’Eau, et qui existera toujours.

_ Que dirais-tu de l’Inde ? Le Golfe du Bengale par exemple, il paraît que c’est un des rares endroits où les hommes n’ont pas réussi à s’imposer.

C’est aussi un endroit où le calme règne, la vie s’y fait en harmonie depuis que toutes ces histoires de braconnage et de pillage ce sont arrêtées. Certes, à une époque, cette terre était le repère propice à l’avarice des hommes, de nombreux temples furent détruits et dépouillés de toutes statues. Je n’ose pas imaginer si ça avait été le cas dans d’autres coins du monde.

Nous déambulons un temps dans la nature luxuriante de cette région, sans rien évoquer de plus que tout ce qui a déjà été dit. Et rapidement, mon devoir se rappelle à moi, ce fut une rencontre agréable, de celle que l’on apprécie pour sa simplicité et son calme.

_ J’ai été ravi de pouvoir partager ces quelques moments avec toi cher Nin.

Je ne m’étends pas plus, le remerciant encore de son présent et de cette journée avant de me dérober et de lui fausser compagnie pour retrouver la quiétude de mon petit espace à moi, en profitant pour m’envoyer un petit verre avant de recommencer à travailler, le vase offert plus tôt déjà rangé dans un coin du temple, sur une table qui doit traîner quelque part.

L'Inde est un bel endroit c'est vrai. La culture là bas est particulière aussi. Chaque endroit a ses propres coutumes suivant les régions. Et le peuple est si respectueux envers nous. Enfin, pour ceux qui y croit encore. Je pense que c'est un effet pervers de la modernisation, de ce qu'on appelle le progrès. Les gens préfèrent croire en l'argent, en la technologie. Le spirituel s'estompe au profit de ce qu'ils pensent être du pragmatisme.

-L'Inde donc. Ce sera parfait.

Je marche un instant à ses côtés dans la végétation. Je songe à Inanna. C'est quand je vois ce genre d'endroit que je comprend pourquoi elle reste si acharnée à les défendre. C'est si beau. Et ça aurait été tellement dommage de ne plus pouvoir en profiter à cause de quelques braconniers et contrebandiers. J'aime beaucoup les félins et les tigres sont décidément les plus beaux d'entre eux.

-Ca m'a fait très plaisir aussi Enki. J'espère qu'on pourra remettre ça.

Pas avant un moment en tout cas c'est sûr. Il sort si rarement quand on ne vient pas le chercher de toute façon. Enfin je sais que le boulot passe avant tout pour lui. c'est simplement agaçant. Je le salue avec un sourire alors qu'il s'en va. Surement dans son royaume. Pour ma part je préfère chercher des tigres.

C'est toujours un plaisir de communiquer un peu avec les animaux terrestres. Ils me permettent aussi de ressentir certaines choses dont je ne me rend pas toujours compte à mon échelle. Quand on a un corps aussi grand c'est parfois compliqué de voir les petites plaies ou les petits changements. Un peu comme un humain ne verrait pas un bouton caché dans un endroit improbable. Oui je compare les humains à des parasites nuisibles. C'est tout ce que méritent certains après tout.