- L'agitation caractéristique de l'approche des fêtes de fin d'année se faisait ressentir, et ce depuis un bon moment déjà. Guirlandes colorées, décorations lumineuses, et autres niaiseries de ce genre, recouvraient chaque arbre, chaque balcon, chaque lampadaire, pour marteler à tous les passants que Noël approchait. Les catalogues de jouets, les promotions spécialement prévues pour permettre aux gens d'acheter un cadeau à leur cousin au troisième degré sans se ruiner, les spectacles tournant autour de la venue de ce cher Père Noël... Pas une seconde de répit dès que vous vous décidiez à aller dans la rue. Et c'était pareil à l'abri entre quatre murs : les programmes télé semblaient s'être concertés pour ne plus offrir que des couleurs tournant autour du vert et du rouge, les publicités arrivaient en masse dans les boîtes aux lettres, et il était fort probable qu'en regardant par la fenêtre vous vous trouviez nez à nez avec une multitude d'ampoules lumineuses formant un chaleureux « Joyeuses fêtes ! ». Artyom aimait bien la période de Noël, vraiment. Cette agitation bien particulière n'était pas forcément énervante, il y avait cet avant-goût des fêtes qui arrivait par la même occasion. Mais trop, c'était définitivement trop. Il n'était même plus possible d'aller boire une bière sans trouver un Père Noël ridicule sur le comptoir !Pourtant il n'avait pas le choix ; lui aussi devait passer par la case « achat de cadeaux ». Il aurait bien aimé y échapper, mais pas moyen. Alors il se retrouvait à arpenter une des rues commerçantes de la capitale suédoise, au milieu d'un nombre incalculable de passants. C'était intenable, cette foule. En général cela ne dérangeait pas l'étudiant norvégien, et d'ailleurs ce n'était pas forcément le monde qui l'exaspérait. Mais il ne pouvait même plus voir les vitrines, les queues qui s'allongeaient depuis les caisses étaient interminables, et il n'appréciait pas forcément se faire secouer de tous les côtés. Malheureusement il était obligé de continuer sa recherche désespérée d'un présent à offrir à sa mère ; au moins pour elle car avant de voir ses cousins, oncles et tantes, il aurait quelques mois de battement. C'était l'un des avantages d'étudier dans un pays étranger : il ne rentrait que rarement en Norvège, et voyait donc sa famille plus rarement encore. Pour sa mère c'était différent, elle venait parfois à Stockholm lorsque ses moyens financiers le lui permettaient, et pour Noël avait décidé de faire visiter St-Petersbourg à son fils. Il n'aurait donc pas de délai, pas de moyen de lui offrir quelque chose au mois de mai plutôt que de décembre, il serait donc peut-être temps qu'il trouve enfin quelque chose.
Seul réconfort de la journée, la neige se mit à tomber. De petits flocons, mais si purs, si blancs ! Ils formaient une mince couche sur le manteau d'Artyom, qui en observa un fondre lentement au bout de son doigt. Il avait eu une période de réelle fascination pour les flocons de neige – toujours à six pointes, mais tous différents et totalement uniques – quelques années plus tôt, et si cette soif de connaissance avait fini par lui passer, il trouvait toujours magnifique les chutes de neige.
Il faut dire que c'était plutôt une bonne chose, pour quelqu'un qui avait vécu ses dix-neuf premières années au nord de la Norvège, et qui était maintenant en Suède. La neige de manquait pas, le froid non plus, et mieux valait l'apprécier.Il trouva dans un magasin, dont il ne retint même pas le nom, une écharpe qui serait avec un peu de chance au goût de sa mère – niveau habit il n'était pas le plus calé des hommes – et compléta ça par un lot de deux romans d'un auteur qu'elle adorait, de ça au moins il était certain. Ainsi disparut la quasi-totalité de son argent, et l'étudiant allait donc être condamné à se nourrir exclusivement de pâtes au beurre pour la semaine qui le séparait encore de son départ en Russie.
Une bonne chose de faite. Maintenant il se retrouvait sans but précis, et l'idée l'effleura d'aller étudier, éventuellement. Ses cours étaient restés à son petit appartement, mais ce n'était pas si loin, et il pourrait peut-être aller à la bibliothèque pour être tranquille. Bien trop de distraction dans son appartement, à commencer par son ordinateur et la connexion Internet qui allait avec.
Tout en sachant parfaitement qu'une fois chez lui il se contenterait d'aller traîner sur Internet plutôt que de repartir travailler, il se mit en route. Il préféra emprunter une ruelle latérale, totalement déserte, au lieu de rester sur les axes principaux bondés et où il était impossible de faire plus de trois pas sans foncer malencontreusement dans quelqu'un.Le calme qui régnait dans la-dite ruelle était apaisant, après plus d'une heure à se frayer un passage entre les badauds pour quelques achats. Cela faisait bizarre de se retrouver d'un coup comme seul au monde – même si l'agitation qui régnait quelques mètres derrière était largement audible. Sachant qu'en arrivant à l'autre bout de la rue il allait de nouveau déboucher sur un grand axe surpeuplé, l'étudiant prenait son temps, bien que l'endroit ne soit pas le plus agréable à regarder. Des graffitis sans grand intérêt, et pas forcément très beaux non plus d'ailleurs, ornaient les murs de leur délicate présence, et une subtile odeur d'urine humaine ou canine se faisait sentir. Il continuait de neiger, et c'était plutôt sur cela que Artyom se concentrait. Mais la ruelle ne fut soudain plus si déserte, et le jeune homme se sentit stupide à marcher lentement, les yeux rivés vers le ciel. Par chance ce n'était qu'un vieillard, et pas une jolie jeune fille de son âge qui l'avait surpris avec cet air rêveur, mais tout de même. Il reprit donc un rythme de marche normal, croisant bientôt le vieillard en question qui arrivait en sens inverse. Règle de politesse oblige, il lui adressa un sourire et un petit « bonne journée », en ralentissant légèrement le pas. Il ne comptait évidemment pas s'arrêter discuter avec cet inconnu, mais ayant grandi dans un petit village, il avait pris l'habitude de saluer tous ceux qu'il croisait – et même s'il vivait dans une capitale depuis un moment maintenant, il n'avait pas totalement perdu cette manie.
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