Dim 11 Jan - 13:32
Impertinent. Isaac ne pouvait pas moins l'être. Il s'était juste livré à l'émissaire sans réfléchir, abandonnant toute idée de lui poser un interrogatoire. De toute manière, Isaac était une sorte de gladiateur des temps modernes, jamais vraiment blessé, qui ne faisait jamais les choses jusqu'au bout, mais qui s'arrangeait pour toujours donner du spectacle. Car c'était bien ça, les jeux du cirque, dans l'Antiquité. Deux acteurs qui se blessaient et jouaient la comédie pour offrir du spectacle au peuple. On pouvait donc dire que le catch moderne équivaut un peu aux combats de gladiateurs, à la différence qu'ils n'étaient pas armés -et non, les chaises pliables ne sont pas considérées comme des armes-.
Ne pas jouer à provoquer Jake? Et puis quoi encore. Il pourrait se dérider et se montrer un peu moins inquisiteur avec Isaac, qui pour l'instant, avait joué cartes sur la table, bien qu'un peu taquin. Et ce regard... Le regard d'un homme qui le prend pour un idiot. Exactement le même regard que son père, à la différence de la mèche de cheveux qui venait occulter l'une des deux lueurs émeraudes qui le scrutaient. Et tout ça devant des nouveaux badauds qui venaient scruter la confrontation.
Et maintenant, l'agression sur sa propre vie. Qu'est ce que l'homme en costume trois pièces racontait, pour l'amour du ciel? Il visait dans le juste, et Isaac n'en semblait même pas affecté. Il se contentait de sourire, et parfois même de hocher la tête en guise d'approbation. Oui, il était un gosse de riche, élevé dans l'oisiveté la plus poussée. Et il l'assumait totalement, remerciait ce cadeau des dieux de lui avoir donné une riche naissance. Oui, son père était un chaud lapin. Et alors? Isaac se foutait bien d'un paternel qu'il ne voyait qu'une seule fois toutes les années bissextiles.
Puis vint le moment où la clairvoyance de Jake s'arrêta brusquement. "Une souffrance minime que tu portes en écharpe. Comme pour montrer que tu n’es pas qu’un fils à papa.". La suite était bien plus réelle, mais les sourcils d'Isaac se froncèrent légèrement. Qu'est ce qu'il racontait? Bien loin d'étaler ses soucis, il s'estimait même carrément dans le luxe, dans sa situation. Jake le prenait donc pour un pleurnichard qui essaye d’apitoyer les autres? Lui qui avait toujours souri, répondu que tout allait bien car, effectivement, tout allait bien chez lui, et qui ne se plaignait jamais? Il trouvait même le temps de s'amuser et d'épater la galerie, malgré son manque de sommeil flagrant. Quand il se retrouvait à pisser le sang à cause de l'escrime, où qu'il se tapait une fracture ouverte à cause de l'un des nombreux sports de combat qu'il pratique à un niveau assez extrême, il se contentait de grogner et d'aller à l'hôpital, patientant tranquillement d'être à nouveau en état de reprendre le travail là où il l'avait laissé. Et jamais il n'avait essayé d'apitoyer les gens, et jamais il n'avait parlé d'un manque quelconque de parents. Après tout, ses vrais parents, c'était les employés de la maison. Et eux, ils étaient là, contrairement à ses géniteurs.
Isaac a eu une enfance parfaite, et en était conscient. Alors de quel droit ce dépressif se permettait ce genre de commentaires?
Alors qu'Isaac allait gentiment le remettre en place, Jake continua son monologue, clouant le bec du jeune homme. Parce qu'il était retourné dans le vrai. Ce rire le hantait tout simplement, et ça devenait insupportable de continuer comme ça. Il avait même guidé ses pas à Stockholm, comme si lui et son hallucination avaient développé une volonté partagée. Plus il s'approchait de cette ville et de ce bâtiment, moins le rire était puissant. Il le guidait clairement vers cet endroit, où Isaac pensait trouver finalement la paix. Ou tout du moins une réponse.
Les mots de Jake glissait tranquillement sur le jeune alors qu'il se perdait dans ses pensées, le regard vide.
Un seul percuta son esprit, et le fit retourner devant Jake.
"... lâche pour l’accepter. Bien trop peureux pour le réaliser. Parce que cela signifierait abandonner tout ce que tu possèdes, ton confort de vie, tes certitudes."
Qu'est ce qu'il racontait?...
"Tu devras recommencer à partir de rien. Et le rien, tu ne connais pas."
Une provocation? Ce Jake Hills poussait le bouchon un peu trop loin à son goût. Il venait lui balancer ça, alors qu'il avait traversé le monde pour venir ici, sans valises, avec une nouvelle identité, et la ferme intention de tout recommencer? Vraiment?
"Tu seras tout en bas de l’échelle, et cette échelle est bien plus grande que tu ne l’imagine. Je te regarde et tu n’as pas l’étoffe pour persister dans cette voie. Tu n’as pas les épaules assez large. Ici, personne, aucune liasse de billet ne te protégera. Tu vas juste te faire bouffer.”
Le blanc s'installa suite aux dernières paroles de Jake.
Un "Popopoooo!" retentit de l'assemblée, maintenant bien fournie, brisant le silence. Pas loin d'une cinquantaine de personnes s'étaient regroupées, et beaucoup d'autres affluaient des couloirs. La foule attire la foule, et tous retenaient leur haleine pendant les deux secondes suivantes.
Et pendant ce temps, Isaac voyait clairement rouge. Une bouffée d'adrénaline lui monta directement au crâne, et sa main gauche fusa vers le torse de Jake. Saisissant l’Émissaire par le col, et le rapprochant près de lui, il plongea son regard dans le siens, lui soufflant d'une voix rauque, grave et puissante.
"Écoute moi bien, petit bâtard de merde. Tu parles sur moi sans savoir, et tu me traites de lâche, alors que j'ai déchiré ma carte d'identité, tout abandonné, et venu ici sans aucune putain de valise juste pour vous rencontrer."
Le jeune homme déploya tout son coffre dans l'interrogation qui suivit, résonnant dans les couloirs, et clouant le bec de toutes les personnes présentes autour d'eux.
"Et tu oses me traiter de lâche, et me dire que je vais me faire bouffer?!"
Ça y est, il s'était énervé. Ça n'arrivait pas souvent, pour ne pas dire jamais. Les gens l'appréciaient pour sa gentillesse, malgré son air de bout-en-train un peu lourd, et pour son calme. Jake, lui, allait le détester pour la surdité passagère qu'il devait se taper. Isaac avait hurlé, et fort.
Il contempla Jake quelques secondes, et vit dans le regard de l’Émissaire une indifférence absolue. Exactement celle de son géniteur lorsqu'il lui parlait, et exactement ce genre d'indifférence qui donnait des envies de meurtre à Isaac.
Bien sûr, ce n'était pas un chien de combat. Il n'avait pas été élevé pour tuer. Mais tuer Jake serait du gâchis, en plus de lui attirer des ennuis. Il allait juste lui foutre une bonne correction, et fermer ce claque-merde qui lui servait de bouche une bonne fois pour toute.
Son poing droit fusa droit dans la glotte de Jake, alors qu'il était toujours saisi par le jeune homme. Isaac avait touché dans le mille, et n'y était pas allé de main morte. Alors que les pupilles de son adversaire se dilataient sous le coup, la surprise et peut être la douleur, Isaac le repoussa violemment, mettant un mètre de distance entre eux deux, le tout sous le regard médusé de la foule, qui ne semblait pas en revenir. Quelques jurons de stupeur s'en dégagèrent, accompagnant les exclamations de surprise de certaines filles, visiblement membres du fan-club du beau Jake.
Jake, de son côté, abordait un petit air amusé. De nouveau droit, un léger sourire en coin, il lâcha un rire discret, qui se mua en quinte de toux ensanglantée, décorant le sol de quelques goutes de liquide rouge. Une fois sa toux passée, il reprit son air calme, bien que légèrement souriant, et ne se décida même pas à riposter. Il attendait juste qu'Isaac le frappe.
"Et en plus, tu me prends pour un con. Défends toi, sombre crétin!" Fulmina Isaac.
Jake ne sourcilla pas. Une réponse qui convenait au jeune homme. Soit il avait décidé de se défendre, soit il continuait son petit numéro. Mais dans tous les cas, Isaac lui ferait passer un sale quart d'heure. Il se mit en garde, et envoya un direct du droit, franc et rapide, vers le visage de Jake. Ce dernier esquiva au dernier moment, manquant clairement de se le bouffer. Mais il ne ripostait toujours pas. Au moins, il faisait quelque chose, et ça convenait parfaitement au spectacle qu'Isaac mettait en place. En se frottant au bourreau de l'école sans pisser dans son froc, il s'assurait que personne n'irait l'emmerder après ça, et c'était ce qu'il voulait, après tout.
Car il avait l'optique de rester ici. Même si c'était rempli d'enfoirés, ça avait l'air sympa.
La seconde attaque fusa, toujours de la part d'Isaac. Bien déterminer à faire avaler ses dents à cet Émissaire qui ne se sentait visiblement plus pisser, son uppercut visait directement le foie de Jake. Isaac frappait juste et fort, témoignage de tout ces sport pratiqués, de cet entraînement abattu, et aussi, de toute l'oisiveté dont il avait pu jouir durant son enfance.
Mais Jake s'adaptait. De la paume de sa main, il dévia le coup de poing, saisissant par ailleurs le poignet de son agresseur, qui se retrouvait en mauvaise posture, mais parfaitement bien placé pour un coup de boule. Le dernier coup força Jake à lâcher prise pour se mettre hors de portée, tandis que ses réflexes semblaient se calibrer en fonction des coups d'Isaac. Bien qu'il semblait être une limace imbue d'elle même au début de l'affrontement, le jeune médium devait bien reconnaître qu'il s'améliorait très vite, et semblait finalement doué.
Isaac commençait à aimer ça, et la foule aussi. Autour d'eux, les élèves s'excitaient. Des paris étaient lancés, et des encouragements -surtout destinés à Jake, à vrai dire- fusaient de part et d'autre. Voilà ce qu'Isaac voulait voir et entendre. L'adrénaline de la colère avait laissé place à l'adrénaline de l'excitation et du combat. Jake semblait s'amuser, lui aussi. Un sourire un peu plus marqué s'affichait sur son visage.
Le jeune homme croisa les bras, se redressant, et reprit son sourire, quoiqu'un peu malicieux.
"Je sais que t'es en train de jouer avec moi, Jake. Arrête de déconner un peu, j'aimerais voir de quoi t'es capable."