Sam 3 Mai - 18:15
Sous mes pieds la terre frémit. Une odeur fraîche de terre et de roche parvint à moi, me révélant ainsi l'identité de mon visiteur. Un Dieu. Que venait-il faire par ici, sinon venir me voir? Deux dieux ne pouvant presque jamais se rencontrer par hasard, puisqu'ils restent presque tout le temps dans leurs royaumes. Mais son royaume à lui est partout, je crois.
Nin Hursag. La colère sourde et maîtrisée, la force et la sombre patience de celui qui arrive toujours à ses fins. Le Dieu des forces telluriques, et de la Terre. Je crois que je n'ai jamais su grand-chose de lui, en quelques millénaires de cohabitation lointaine. Il faut dire qu'avant, quand j'étais encore à l'apogée de mon existence, il y avait mon frère. Il me suffisait.
Maintenant, il ne reste rien qu'une profonde réticence à m'attacher, une rancœur tenace, et la colère, par-dessus tout la colère, puissante et toxique, qui me possède tout entier. Je crois qu'à présent rien ne pourra jamais l'extirper de moi. Elle fera partie de la Lune et du temps, la colère. Les hommes le savent bien, eux qui profitent de l'ombre de la nuit pour extraire d'eux tout ce qui est honteux sous le juste regard du Jour. Leurs hontes, leurs désespoirs, leurs défaites, leurs actes les plus inavouables. Mais la Nuit n'est pas neutre, n'est pas muette, tout en haut il y a mon front lumineux, mon regard qui contemple toutes les bassesses de l'humanité.
Nous les Dieux sommes créés pour les humains, pour organiser et veiller leur vie. La plupart n'en sont plus très reconnaissants, aujourd'hui. Je ne leur en veux pas, c'était inéluctable. Notre âge d'or est loin, notre ire presque oubliée.
Mais pourquoi, pourquoi faut-il donc que la noirceur attire la noirceur, pourquoi faut-il que ma nuit soit tout entière dédiée à ce qu'on fait de pire? Pourquoi n'ai-je pas droit moi aussi à être attendu avec autant de ferveur que le Jour? Qu'on arrête de parler de Lumière et d'espoir, qu'on n'attende pas les premières lueurs de l'aube avec tant d'impatience. Qu'on n'attende pas que mon frère haï me chasse au matin, lorsque le bonheur renaît.
Utu, pour cela je te hais.
Je frémis légèrement lorsque Nin Hursag s'arrêta à côté de moi. Devant nous, sous les froids rayons lunaires s'étendait une ville paisible, bercée par le murmure de son autoroute lointaine.
Que ne font-ils pas pour se rassurer...
-Bonsoir Nanna. Ou bonne nuit plutôt.Il sourit. Étrange être inusable que rien n'ébranle.
Bonne nuit? Amère nuit plutôt, comme toutes depuis bien longtemps.
Je vole au-dessus de tout, essayant de m'enivrer de ma puissance, pour cette nuit au moins, en attendant le retour de mon glorieux frère. Un sombre sourire croît sur mon visage à la vue de mon propre corps debout sur cette colline. Près de lui, un autre, légèrement plus grand et plus large, puissant et stable, aux fins dreadlocks flottant dans son dos. Deux Dieux cherchant du réconfort.
Peut-être plus semblables qu'on ne le pense.
Même si au fond, je le méprise pour ses actes. Lui, qui pourrait être si indépendant, s'inclinant devant Inanna, cédant à tous ses caprices? Minable.
Malgré tout, sa constance force le respect. Si mon frère avait été comme lui, on n'en serait pas là.
_Nin Hursag. Je me tournai vers lui, contemplant son visage délicat et sans âge.
Qu'est ce qui te fait quitter tes errances solitaires par une si belle nuit?
J'eus un sourire amer, une fois encore. Ne cesserai-je jamais d'entretenir cette rancœur?
Sans lui laisser le temps de répondre je me détournai de ses yeux si calmes et insupportables, perdant mon regard loin au-dessus de l'horizon, cherchant peut-être à apercevoir la lumière d'une étoile bien particulière. Je secouai doucement la tête.
_Pardonne mon amertume. Bonsoir, Nin Hursag. En quoi puis-je t'être utile ce soir?J'aimerais me souvenir de jours heureux passés dans ton domaine. Il ne me vient qu'une lumière diffuse qui tend à s'éteindre. Le bruit sourd d'un volcan qui s'éveille. Qu'apportes-tu avec toi?