Lun 10 Aoû - 18:50
Je fixe le vide, perdu dans mes pensées haineuses : Katharina Jehms, la traînée du Panthéon. Même Ershkigal semble s'y être essayé, à mon grand dégoût. Il y a des milliers de magnifiques Créannes dans le monde, pourquoi fallait-il qu'ils choisissent tous celle-ci ? Je détourne sombrement le regard, qui se pose sur le bijoux qu'Inanna porte au creux du cou. Elle se dirige vers nous, que va-t-elle encore inventer pour plomber l'ambiance ? Je ne peux m'empêcher de remarquer qu'elle est magnifique, une fois de plus, avec ses longs cheveux et sa splendide robe. Malheureusement ses paroles ne sont la plupart du temps que cruelles moqueries et basse hypocrisie pour parvenir à ses fins... Et cette fois-ci n'échappe pas à la règle.
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Eh bien, bonsoir Nanna, il me semble que cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas croisés, pas vrai ? Comment vas-tu depuis cette merveilleuse éclipse ? Un véritable spectacle, pour sûr. Enfin. Tu es toujours aussi sombre, à ce que je vois. L’air terne et dépressif te va si bien au teint, c’est hallucinant. J’espère que notre frère adoré ne te manque pas trop, tout de même. Ce serait triste, après tous les efforts que tu as déployés pour l’éloigner de toi.Je serre les dents sous ses sarcasmes dont elle doit être fière, les pensant sans doute bien sentis. Ce n'est pas elle qui a quasiment assassiné son frère. Quoique je suis certain que dans ma situation elle n'aurait pas hésité une seconde à l'achever en jubilant. Déesse ou pas, ce n'est qu'un misérable moucheron attiré par le pouvoir, au détriment de toute autre chose.
_C'est vrai que nous n'avons pas tous le bonheur d'avoir éveillé l'intérêt lubrique du Dieu des Dieux, n'est-ce pas Inanna ? Quelle chance tu as, tu es certainement prête à lui accorder tout ce qu'il veut, en bonne partenaire obéissante ? Je lui jette un regard de pur mépris. Qu'elle ait soif de pouvoir, passe encore, mais qu'elle se soumette ainsi aux fantasmes d'Enlil, cela en devient nettement répugnant.
J'entends vaguement les pensées d'Alexander qui s'indigne pour moi. Il finira par comprendre que c'est presque le quotidien, dans notre "grande et belle famille" qu'est le Panthéon. La franchise n'est jamais la bienvenue, ce n'est plus comme autrefois... J'ai une pensée nostalgique pour ma dernière fille qui savait si bien apporter sa fraîcheur à nos lourdes discussions. C'est maintenant que nous aurions besoin d'elle... Et Utu qui faisait d'étranges énigmes à son propos le jour de l'Eclipse... Sans doute pour me déstabiliser ou me mettre en colère, j'imagine.
Je ferme mon esprit à l'immense gêne du jeune homme ; il ferait bien de se détacher de ce genre de remarques s'il veut se faire respecter un tant soit peu, ce dont je doute... Je lance tout de même un regard sombre à ma soeur :
_Ne t'avise pas de toucher à mon Missionnaire sans son consentement, Inanna.Et sur ces mots je tourne les talons, fendant la foule aux étoffes chamarrées, le moral au plus bas. Bien sûr que je suis triste. Je le hais pour ce qu'il est devenu, si décevant, si faible et perverti... A mille lieues de mon frère Utu, sage malgré lui, et dont le sourire rayonnant clamait son harmonie avec toute chose. Il se considérait comme un gamin immature et cherchait notre respect à tous, sans voir qu'il lui était déjà acquis, et savait rire de tout, spontané et espiègle. Comment ne pas s'attacher à lui ? Il m'apportait son sourire et je lui donnais mon calme, cela nous suffisait. Je vois à présent, comme jamais, que je n'ai jamais arrêté d'espérer le revoir ainsi, un jour. J'aurais aimé que tout ceci se termine autrement, c'est tout. Je ne regrette pas mes actes, ils étaient nécessaires et je n'ai aucun remord d'avoir envoyé cette pâle copie d'Utu bouder sur le Soleil.
Oui il déstabilise le Monde, mais peut-être cela le fera-t-il bouger quelque peu, en bien ou en mal je n'en sais rien. Oh, il me suffirait d'aller voir, mais je me suis juré de ne jamais le faire, le savoir peut avoir tellement de conséquences, et puis la douleur qui en résulterait serait sans doute insoutenable. Je suis le Gardien du Temps, et le perturber me blesserait profondément.
Mes pas m'ont conduit jusqu'au jardin, où je mouille mes chausses sur l'herbe humide. Quelques couples flirtent ici et là, collés par deux sur les bancs de marbre veiné, et des vigiles en costume trois pièces montent la garde à l'entrée. Les échos de la fête me parviennent par vagues tandis que je me laisse envahir par la fraîcheur de la nuit, appuyé contre un mur. Quelques nuages découpent leur silhouette mal définie devant l'astre pâle de la Lune. Son éclat semble affaibli, lui aussi, ne reflétant que la fade étoile servant de Soleil à la Terre depuis quelques temps.
Les scientifiques en sont paniqués, ils consultent leurs archives pour savoir si un pareil cataclysme a déjà eu lieu de mémoire d'Homme, certains parlent des prémices de la fin du Monde. Ils ne savent rien, pauvres humains...
Je perds en silence mon regard parmi les étoiles, en me demandant laquelle porte le nom de Soleil, laquelle abrite mon frère, et si vraiment j'ai la moindre chance de revoir un jour le Dieu que j'aimais.
(Nanna est un dépressiiiiiiif T-T )