Nin Hursag & Inanna
Les yeux perdus dans le vague, assise sur la branche d'un arbre, je laisse mes jambes pendre dans le vide en les balançant lentement, comme le ferait une enfant. C'est fou. Il y a des journées, comme ça, où il ne se passe quasiment rien. Certes, les hommes grouillent toujours dans tous les sens ; mais est-ce vraiment divertissant ? Entre ceux qui meurent de faim en Afrique ou en Asie et ceux qui s'amusent à Wall Street, je désespère complètement. Même mes missionnaires et mes créannes ne sont plus actifs... Ce qui me fait penser que ma chère Nath ne devrait pas tarder à recevoir une nouvelle mission ; mais qu'importe ! Ça ne change pas grand chose au final, d'attendre un ou deux jours de plus. Quand on a l'éternité devant soi, le temps n'a aucune importance.
J'embrasse mon royaume d'un regard doux, un peu espiègle malgré tout. Je ne resterai pas ici sans rien faire aujourd'hui ; et après ma rencontre précédente avec Utu, je préfère éviter de faire quoique ce soit de contrariant avant quelques semaines. Ou quelques jours, au moins, pour faire bonne figure. Après tout, je ne suis pas spécialement connue pour mon extrême patience...
Souplement, mes pieds nus atterrissent au sol, et je déambule un instant afin de rejoindre le jardin central. Magnifique jardin créé par mes soins, où sont entreposées des statues végétales représentant les plus grands guerriers de tous les temps. Ou, du moins, ceux que j'ai un jour estimé. Certains étaient fins stratèges, d'autres mes émissaires et dévoués ; certains, enfin, étaient morts en tentant de me protéger. Ignorant certainement que les flèches et les épées de ces pauvres hommes ne pouvaient rien ou presque contre mon pouvoir. Triste fin pour des personnes désuètes ; mais qu'importe, je sais moi aussi ressentir de la reconnaissance.
Je m'arrête un instant et projette ma vision sur le monde ; l'Europe est baignée par les rayons de midi de ce cher ange de la Justice, et une idée me vient. Un sourire ourle à nouveau mes lèvres alors que je me dématérialise, apparaissant dans une rue peu fréquentée de Venise. Dans le mouvement, une robe blanche légère s'est déposée sur mon corps, ainsi que des talons hauts et une paire de lunette de soleil. En faisant la moue, je matérialise un large chapeau blanc que je mets délicatement sur mes cheveux auburn au soleil, puis commence lentement à longer les rues de la ville, mon sourire retrouvé. Parfois, se mêler aux humains a du bon. Surtout lorsqu'ils vous suivent du regard sur plusieurs mètres alors que vous ne faites que passer, d'un air affairé à fouiller dans votre sac. Repérant une terrasse non loin, je m'installe et interpelle le serveur dans un italien parfait, lui dédiant un joli sourire lorsqu'il m'amène enfin ma tasse de thé. Je prendrais encore plus de temps à bafouiller, si j'étais lui. Très mignon, vraiment ; j'en ferais bien mon quatre heures...
Ma main plonge dans mon sac pour en sortir un livre, intitulé très justement « L'art de la guerre » (ou « Comment essayer de théoriser une chose inthéorisable pour tenter de comprendre pourquoi l'homme essaie constamment de tuer son voisin. » Ne cherchez plus, c'est de ma faute. Et je le vis très bien, merci !) ; je me mets à lire tranquillement, avant d'étirer un sourire en coin en sentant, non loin, une aura tout à fait reconnaissable.Cela fait longtemps que tu ne m'as pas rendu visite, j'en venais presque à croire que tu m'avais oubliée... Tu sais pourtant que je suis très susceptible de ce côté-là, non ?
La chaise face à moi se tire et quelqu'un s'y assoit Lentement, je tourne une des pages de mon livre en continuant à sourire et, sans lever les yeux du texte, je le salue :
– Bonjour Nin. Que me vaux le plaisir de ta visite ?
Une lueur malicieuse se glisse dans mes iris feuillage, que je plante dans les siens. Mon cœur se gonfle cependant d'un bonheur sincère et non feint ; et le verre fumé de mes lunettes devrait le cacher à sa vue. Quoiqu'il n'a généralement pas besoin de ça pour réussir à savoir ce qui me trotte dans la tête...
– Je te manquais ? je ris doucement et d'un air taquin, détaillant le Dieu de la Terre dans toute sa splendeur – simplicité et efficacité, c'est ce que j'aime chez lui. Ou bien avais-tu peur que je finisse par me languir de toi ?
Je remets une mèche de cheveux derrière mon oreille, espiègle. Le petit serveur n'a pas vraiment de chance, aujourd'hui...