Les courses. Un moment très ennuyeux pour Edelmyr, qui décida de passer en mode « automatique », se laissant entrainer dans les rayons par un Sebastian beaucoup plus enthousiaste que lui, tout en tenant le panier rouge du supermarché dans lequel s’empilait de la nourriture, car il était plus corpulent que son Créateur.
- Qu’est-ce que tu veux manger ?
Le Créanne n’en savait rien, il ne s’était pas intéressé à la question, mangeant ce qu’on lui donnait et c’est à peu près tout. Par contre il savait ce qu’il ne voulait pas manger, à savoir, de la viande de canard. Il n’avait pas aimé cela. Par contre il avait bien aimé le steak. Saignant. Comme on pourrait s’y attendre de la part d’un félin, Edelmyr n’était pas très légumes, et les laissait généralement de côté. Sebastian quand à lui était capable de manger de tout sans problème. Un des rares à aimer les choux de Bruxelles d’ailleurs.
- Je l’ignore.
Sebastian soupira légèrement puis reprit son sourire, habitué depuis environs cinq mois à supporter l'humeur parfois ombrageuse de son « cousin », qui en plus détournait les regards sur son passage. Ah, on ne pouvait pas y faire grand-chose à part faire avec ! L’étudiant était sûr que cela s’arrangerait avec le temps !
- Bon aller, on a qu’à se prendre une pizza !
Pizza. Elément rond avec des ingrédients dessus. Essentiellement de la tomate et du fromage. Edelmyr aimait il la pizza ? Le temps de se souvenir si cette nourriture lui avait fait bon effet, Sebastian se dirigeait déjà avec conviction dans le rayon des surgelés, ne laissant pas d’autre choix à Edelmyr que de le suivre. Enfin si, il aurait pu ne pas le suivre mais cela aurait été bête, il aurait fallu se retrouver par la suite et cela aurait été une perte de temps dans ce lieu froid et industrielle qu’il n’appréciait guère.
Dominant à peu près tout le monde de sa haute stature, le Créanne re-passa devant, laissant le soin aux autres de s’écarter sur son passage, ce qui marchait plutôt bien. Du moins pas sur tout le monde visiblement, il s’arrêta et baissa les yeux sur le cadi ayant failli le heurter, puis sur la personne responsable de ce presque-accident qui lui intimait de bouger. Ennuyeux. Il ne cilla pas.
- Seeeeeeb !! Bon sang ça fait longtemps !
Voix de femme. Exclamation trop aigüe. Désagréable. Néanmoins son aura était étrange sans qu’il puisse savoir pourquoi. Edelmyr serait bien partit, mais à ses côtés, Sebastian s’exclama :
- Tya !
Le Créateur s’approcha de la demoiselle avec un grand sourire pour aller la saluer chaleureusement.
- J’avoue, ça fait un bail, je pensais que t’étais plus ville ! T’as arrêté tes études alors ?
Le brun n’avait pas bougé, essayant de comprendre la scène qui se jouait devant lui, spectacle étrange que cet homme ténébreux avec son panier en plastique de course. Il fixait la jeune femme, puis Sebastian, tout en se demandant pourquoi celle-ci avait une aura différente à la fois des autres humains, de son Créateur, et des Créannes. Bizarre. Le blond interpréta mal son regard et cru qu’il voulait que les présentations soit faites, ce qui ne serait pas mal tout bien réfléchit.
Avec de grand geste pour les désigner, Sebastian se lança :
- Ethan, voici Tyarisse Fent une amie, Tya voici Ethan Dulac, mon cousin !
Après tout il ne pouvait décemment pas lui dire « coucou cet individu est sorti de mon corps un jour », il aurait l’air cinglé.
Une amie de Sebastian donc. Alors il fallait qu’Edelmyr fasse bonne impression, même si le prénom « Ethan » inventé pour l’occasion n’était pas à son goût. Il déclara de sa voix grave :
- Salutation demoiselle Tyarisse.
Pour le langage par contre, Sebastian n’avait pas réussi à y changer grand-chose.
Edelmyr se décala afin de ne pas rester dans le passage du rayon et s’approcha des congélateurs. Effort suprême de conversation, il demanda à Sebastian :
- Une amie de jeux ?
Sebastian secoua négativement la tête en souriant :
- Et non, j’ai pas pu la convertir.
Puis il continua à l’intention de Tyarisse :
- Mais si tu changes d’avis, je suis toujours ouvert !
La nommée Tyarisse regarde Edelmyr avec un air étrange. Celui-ci le lui rend bien, blasé et imperturbable, sans se rendre compte qu’un tel air peu avenant lui donne surtout l’air ténébreux – dans le sens où si ils étaient dans un manga, il serait surement chez les méchants avec une tête pareil. Ce n’est pas la première fois qu’il inspire la curiosité, et surement pas la dernière. Un léger soupire s’échappa de sa cage-thoracique. Heureusement que Sebastian reprend la parole et que la conversation continu, parce que sinon, l’ambiance aurait été tendu.
- Bon sinon tu deviens quoi toi ? Et ton cousin est là depuis longtemps ?
Sebastian, qui n’avait pas perdu quelques rougeurs depuis que la demoiselle l’avait chaleureusement serrée de son bras, sembla être encore plus mal à l’aise avec cette question. Il y avait urgence. Non pas qu’Edelmyr rechigne à accueillir un frère ou une sœur mais si cela pouvait évité d’avoir lieu dans un supermarché, avec une émotion aussi ennuyante que la gêne, cela ne serait pas plus mal. Réagissant avec sang-froid, le Créanne empoigna de sa main droite – libre- des pommes de terre coupées en carrés congelé, qu’il passa soudainement sans prévenir à son Créateur.
- Nous avons oublié cela.
Sous l’effet du froid subit, cela surprit assez le jeune homme qui arrêta d’être gêné et repris ses esprits. Sebastian n’aimait déjà pas spécialement mentir, mais mentir à une fille sur qui il avait flashé quelques années auparavant était assez…. Difficile. Oh, il ne se faisait plus d’illusion, et avait presque fini par oublié cette sensation à l’intérieur de lui avec le temps. Mais être à nouveau en face de Tya… Il s’en souvenait à présent. Sebastian raffermit sa détermination : non, elle n’était pas pour lui, le romantique, celui croyant au grand amour. Un jour il rencontrerait une personne de fidèle qui ne le friendzonnerait pas !
- Je vais chercher la farine.
Edelmyr se sentait de trop. N’était-ce pas le moment où les humains se retrouvaient pour s’échanger leurs anecdotes ? Puisqu’à cette époque il n’était même pas né, autant se rendre utile et abréger leur promenade en ce lieu. Où était la farine déjà ? Il s’éloigna dans les rayons pour le moment. Laissant un Sebastian avec ses patates, se remettant de ses émotions il demanda avec des yeux étonnés, trop franc :
- La Congrégation ? C’est pas dangereux ?!
S’était sorti tout seul, mais l’endroit faisait peur à Sebastian. Pour une raison simple : Edelmyr craignait cette partit de la ville. Le jeune homme l’avait découvert par hasard, ils devaient rejoindre un pote qui y étudiait par là-bas une fois, et Edelmyr avait fait demi-tour, disant très exactement « cet endroit est mauvais. Partons ». Et pour une fois que le Créanne exprimait son avis aussi catégoriquement sur quelque chose - pire ! – avec une lueur vaguement craintive dans les yeux, c’était que vraiment cet endroit devait être l’incarnation de l’Enfer. Sebastian ne savait pas pourquoi, Edelmyr ignorait aussi pourquoi très exactement, mais avait su l’expliquer ainsi avec un ton lugubre « J’ai la sensation que si nous continuons plus avant, c’est la mort qui nous attend ». Le truc qui vous refroidit tout de suite d’aller au campus alors que pourtant, plein de gens y étudies.
Néanmoins ce n’était pas du tout une question normale alors Sebastian préféra enchaîner avec une autre réponse :
- Oh, Ethan est là depuis cinq mois.
Ce qui n’était pas vraiment un mensonge. Par contre avec son magnifique « c’est pas dangereux ? » il se sentait ridicule. Le blond sourit gêné, mais se concentrant sur le froid des aliments congelés :
- Je le loge chez moi, on est en colocation tu vois… Et puis moi… j’étudie toujours en Histoire, j’ai pas redoublé… Je sais qu’Ethan à l’air un peu… froid, mais il est gentil en fait.
Sebastian avait surpris le regard de Tya sur celui-ci, et voulait le défendre un peu. Durant un instant il envisagea de tout déballer, ce n’était pas simple d’avoir peur de ses propres émotions sous peine de faire popper des gens ! Mais il finirait à l’asile vite fait, pire, Tya se moquerait de lui ou penserait que les jeux de rôles lui ont fait perdre la tête.
Pendant ce temps, Edelmyr, au rayon farine, ne sait pas laquelle choisir pour faire des crêpes.
Sarasin, fluide, 45 ou 60 ? Tel est la grande question qui occupe actuellement Edelmyr devant le rayon « farine ». Après quelques instants il choisi la fluide qui proclame être « sans grumeaux spécial crêpes ». Donc au moins, il est à peu près sûr de son coup. Mais il ne revient pas tout de suite vers son Créateur, zigzagant entre les rayons, essayant tant bien que mal de se faire discret. Tyarisse ne l’inspirait guère, son aura étrange et sa manière de le regarder ont parfaitement déplu à la Créanne. Pourtant il n’avait rien fait de déplacé ! Il ne comprenait pas l’hostilité de l’amie à Sebastian à son égard, et calcula donc que si il n’était pas dans les parages, peut être en apprendrait-il plus mais il vérifia tout de même que celle-ci ne fasse pas de mal à son ami.
Sebastian essayait de comprendre la phrase mystique de Tya. « Non... C'est dangereux uniquement si tu as quelque chose à te reprocher... ». Pour quelqu’un ne jouant pas aux jeux de rôles, cette réplique en semblait tout droit sortit ! Par conséquent s’était surement du sérieux. Son amie voulait lui faire visiter l’endroit… La raison lui montrait que des tas d’élèves étudiaient à ce campus, donc ça ne pouvait pas être si terrible que ça ! Mais l’impassible Edelmyr avait clairement manifesté son désaccord envers cet endroit. Justement, n’était-ce pas le moment où le héros part au-devant de sa peur pour mieux la comprendre ? Peut-être aurait-il la réponse à l’inquiétude semblant irrationnel de son « cousin ». Et puis passer plus de temps avec Tya… C’était pas si mal !
- D’accord ! Je fais rien de spécial aujourd’hui, ça pourrait être sympa !
L’espion en herbe Edelmyr ne trouva pas du tout cette réponse approprié. « Sympa » ? Dans ce lieu qui lui semblait hautement dangereux ? Il ne pouvait tout de même pas laisser Sebastian y aller tout seul ! Il se ré-incrusta dans le petit groupe à nouveau pour déclarer placidement.
- Nous avons les courses à ranger avant.
Si Sebastian voulait quand même suivre l’étrange amie, ils devaient d’abord se mettre d’accord sur un plan au cas où cela tournerait mal. Comme dans les donjons les plus complexe : sans stratégie ne serait-ce qu’esquissé, pas de victoire ! De plus, il fallait qu’Edelmyr récupère son sabre si des ennemis – car pour qu’un endroit paraisse aussi dangereux, il devait bien y avoir ça – arrivaient.
Le Créateur voyait les choses de façon un peu moins pessimiste. Une université ne pouvait pas être aussi néfaste ! Il était peu probable pour qu’il lui arrive quoique ce soit en visitant les alentours et une bibliothèque, non ? Et surtout, son amie ne l’attirerait pas dans un piège, il en était certain ! Néanmoins c’est vrai qu’il y avait les courses à ranger. Il sourit enthousiaste à Tya :
- Oh oui bien sûr ! On se donne rendez-vous sur la route de la Congrégation vers 15 heures alors ?
Sebastian posa le sac de pomme de terre congelé dans le panier, frotta un peu ses mains engourdit par le froid et jeta un coup d’œil au brun pour éviter qu’il ne dise autre chose. Après tout il avait le droit de passer un peu de temps avec ses amis humains quand même ! Et puis Tya était gentille, elle ne lui ferait pas de mal.
Edelmyr pinça légèrement ses lèvres, ennuyé – et avec une vague inquiétude – n’étant pas de cet avis. Non pas qu’il comptait monopoliser le temps de Sebastian mais s’était plus sur la gentillesse de Tyarisse qu’il s’interrogeait. De toute façon, si son Créateur y allait, il suivrait aussi de loin !
Avec un soupire ennuyé, Edelmyr suivi Sebastian jusqu’à la caisse, puis jusqu’à leur appartement. Le Créanne restait silencieux, ne sachant pas comment aborder le sujet sans paraître trop désagréable. Sa relative maturité d’esprit lui permettait de comprendre que son créateur appréciait la demoiselle et que contrarier ses plans pour cet après-midi lui déplairait. Comment lui faire comprendre la sensation de danger émanant de la Congrégation ? Comment lui dire sans être désagréable envers Tyarisse ? Pour la première fois, Créanne et Créateur ne savaient pas quoi se dire sans être en désaccord.
Finalement, au moment de ranger les courses au frigo, Sebastian prit la parole, hésitant :
- Tu sais… Si l’endroit te fais peur je peux y aller tout seul et on se retrouve après ?
Posant la farine dans le placard, Edelmyr haussa un sourcil :
- Pas question, je veillerais sur toi. Si c’est dangereux j’interviendrais.
Mettre en jeu la vie de celui qui était à la fois son « père », son frère de cœur et son ami n’était pas vraiment dans les options du brun. Un extrait de film quelconque lui revint : le héros et sa copine. Il ajouta :
- Mais si au bout d’un moment tout va bien et que vous préférez plus d’intimité je m’en irais.
Le blondinet bredouilla gêné :
- Plus d’intimité ? Oh tu penses que….
Houla, non, pas encore ! Sebastian se précipita de lui-même la tête sous le jet d’eau de l’évier qu’il régla à froid en répétant :
- Je pense à autre chose, je pense à autre chose. Le dragon crame les aventuriers trop imprudent mais peut épargner les intelligents tralalala je pense à autre chose ouiii.
Une fois sur que rien ne sortirait de son corps il arrêta l’eau et ses phrases aux hasards tandis qu’Edelmyr avait fini de tout ranger, à défaut d’être utile. Le blondinet regarda le Créanne avec un air penaud :
- Dis, comment je vais faire pour rencontrer une fille si… si je risque de faire popper quelqu’un à tout moment ?
Edelmyr regarda son Créateur qui avait à présent la tête mouillé puis après réflexion, déclara :
- Peut-être qu’on ne peut pas créer deux fois une… Créanne avec le même sentiment. Demain, on fera sortir celle de la gêne d’accord ? Comme ça tu en seras débarrassé. Qu’en penses-tu ?
Voulant y croire, même si créer une nouvelle personne l’inquiétait, Sebastian hocha la tête. Ensemble ils préparèrent des crêpes puis le moment venu, Sebastian en enveloppa dans du papier alu pour en amener à Tyarisse en guise de gouter. Il amena aussi une bouteille d’eau et mis le tout dans son sac. Edelmyr prit son sabre de GN qu’il accrocha à un porte-épée conçu à cet effet puis se transforma en chat une fois dehors, laissant de la distance à Sebastian pour ne pas faire suspect.
Trop pressé à l’idée de revoir Tyarisse, l’étudiant arriva en avance à 14h50 sur les lieux du rendez-vous, tandis que de buissons en fourrés le chat noir suivait silencieusement ses déplacements, pour prévenir de tout danger.
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