* * Azur * *
Allons donc, une créanne aussi âgée que moi. En effet, je n’y suis pas habituée.
—
Oui, je devrais perdre cette habitude. Peut-être es-tu en effet plus vieux que moi, auquel cas navrée de t’avoir, peut-être, manqué de respect.La conversation dévie vers les créannes.
— Il ne s'agit pas que d'elles, mais surtout de surveiller tout ce qu'il se produit... Plus il y aura de créannes autour de la Congrégation, plus nous pourrons nous inquiéter. J'ai pour habitude de ne pas faire confiance trop rapidement. La compréhension n'annihile en rien la méfiance que je leur porte.
Tiens, je ne suis guère habituée à rencontrer un individu possédant ce genre d’avis. Les créannes sont naturellement nos alliées, alors si nous ne leur faisons pas confiance, à qui le pouvons-nous ?
Je penche la tête sur le côté, un mince sourire amusé sur les lèvres.
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Te méfierais-tu encore de moi, jeune créanne ? Enfin… Nao, pardon.Hm, difficile de se séparer d’une vieille habitude.
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Tu ne devrais pas. Ce n’est pas moi qui viendrait t’arracher ne serait-ce qu’une plume, tu sais…J’avais tendance à être quelque peu… protectrice, envers les créannes. Un peu trop, peut-être. A dire vrai, je crois que c’est pour cela qu’on m’a attribué la mission qui était la mienne. Parce que j’étais trop gentille pour les tâches plus dures.
—
La neige est belle, oui. Elle est un peu comme l’incarnation du silence et du calme, absorbant les bruits et plongeant le monde dans une ambiance paisible.Je laisse mes sens divaguer quelques instants. Mes prunelles se perdent dans la contemplation du sol en contrebas. La couche de neige y était plus fine qu’ailleurs, de par la protection des arbres. La Lune éclairait la scène, faisant briller d’un éclat presque surnaturel la neige immaculée. Elle était si fraîche que les animaux de la forêt n’avaient guère eu le temps d'y tracer leurs empreintes.
Comme je l’avais dit plus tôt, la neige semble en effet absorber le moindre bruit, à l’exception du sifflement de la brise glaciale qui me fait frissonner. Si l’on écoute attentivement, on pourrait peut-être entendre les bruits de pas feutrés des habitants des bois, bien qu’ils se fassent peu nombreux de nuit et par ce temps.
Distraite, je n’entends que vaguement la voix de Nao lorsqu’il reprend la parole, tourne à temps les yeux vers lui pour le voir reprendre sa forme de chouette. Je le regarde d’un air un peu interrogateur, me demandant intérieurement s’il comptait déjà s’en aller. Je ne lui en tiendrais pas rigueur bien sûr, mais je serais un peu attristée quand même, j’avais oublié combien il était agréable de tenir une conversation aussi légère avec quelqu’un, sans but stratégique derrière.
Il prend silencieusement son envol, et dépose alors une étoffe douce et épaisse sur mes genoux. Je fixe cette dernière, un peu surprise, avant de relever les yeux vers Nao qui était retourné vers une branche plus basse et plus solide pour supporter sa masse.
— Je sais qu'on n'attrape pas vraiment le rhume, mais pour avoir vécu en Russie, je sais que le froid n'est pas des plus agréable. Tu devrais te couvrir.
Un sourire doux fleurit sur mes lèvres.
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Merci, murmuré-je simplement.
Je saisis l’écharpe de laine afin de l’enrouler autour de mon cou.
—
Je n’ai pas l’habitude de prendre ma forme humaine, seulement quand j’en ai besoin pour communiquer, alors il est vrai que je ne prends guère le temps de me procurer des vêtements adéquats aux basses températures suédoises…Je pose une main contre le tronc de l’arbre, l’autre sur la branche sur laquelle je suis assise, puis me mets debout sur ladite branche afin de dégourdir mes jambes ankylosées.
Je repose les yeux sur la créanne.
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Tu dis avoir vécu en Russie ? J’avoue n’y avoir jamais été… es-tu né là-bas ?Je n’ai jamais voyagé plus loin à l’est que l’Allemagne, à dire vrai… j’essayais de ne pas trop m’éloigner de Stockholm, c’est tout de même le cœur du monde des dieux.
—
Je suis plutôt rarement retournée dans mon pays d’origine, pour ma part. Je me rends souvent dans les pays nordiques… enfin, il y a quelques années j’étais en Espagne, puis je suis retournée à Stockholm deux ans après, je t’avoue que le choc thermique était assez violent.Je lui adresse un sourire amusé. J’avais trouvé deux jeunes créannes, en Espagne. Elles avaient été un peu réticentes à me suivre, il m’avait fallu de longs mois pour les convaincre. Puis après j’étais partie pour la Finlande, et j’ai trouvé mon petit Leaf. Le pauvre chéri, il lui tient à cœur de savoir qui est son dieu, mais il n’a aucun souvenir de sa naissance. Oh, je ne doute pas qu’un jour il aura comme une illumination et qu’il aura la réponse à sa question…
—
Cela faisait longtemps que je n’avais pas croisé une créanne aussi calme et douce que toi. Tu ne dois pas être né d’une émotion très agressive, je me trompe ?