Warren & Inanna
Le temps est long. Tellement plus long, lorsqu’on s’est forcés à rester tranquille, avachis dans son royaume-labyrinthe dont on connaît pourtant tous les recoins. Parfois, ce n’est même plus amusant de se retrouver là-bas, à attendre que quelque chose se passe. J’ai un long soupir de lassitude alors que mes pieds nus foulent la terre – cette terre si belle et si douce, aux senteurs fortes et envoûtantes. Tout comme lui.
J’ai une pensée unique et discrète dirigée vers Nin, quelque part. Sûrement chez lui, comme toujours. Ou bien à parcourir la terre. Sa Terre. Dans une harmonie parfaite et singulière que je jalouse parfois. Car si je suis liée à elle, je ne pourrais jamais en faire réellement partie. Comme un parasite qui s’est greffé sur sa peau. Je suis là, c’est vrai. Mais si je ne l’étais pas, peut-être que ça ne changerait rien.
Je ferme les yeux et respire profondément, humant l’odeur boisée qui se mêle à celle de la terre. Les dernières semaines étaient plates, vides ; je m’ennuie de ne plus courir dans la forêt, de ne plus pouvoir menacer qui que ce soit. Même pour jouer.
Prise d’une soudaine envie, je me matérialise dans une forêt d’Europe de l’ouest. Silencieuse. J’écoute les arbres pousser sans bruit, en effleure l’écorce. En même temps, mon regard embrasse la Terre toute entière, centrée sur l’Angleterre. Il ne me faut qu’une ou deux secondes afin de repérer la personne que je cherche. Un sourire s’étend sur mes lèvres. Léger. Mon regard se lève vers le ciel, et je fixe la lune un instant ; cette fois, je ne teinterai pas ta lumière d’écarlate. Tu vois que je peux le faire, lorsque j’en ai envie.
Un clignement de l’oeil, et je me retrouve vêtue d’une robe noir et d’escarpins de la même couleur. Mes yeux se soulignent de noir et un joli bijou apparaît autour de mon cou. Je l’effleure doucement, du bout des doigts, avant d’arranger mes cheveux courts et de me re-matérialiser dans une rue peu fréquentée à cette heure. Je fais apparaître un sac avec un sourire ravi – je ne suis pas une accro du shopping, arrêtez avec ça – et me dirige tranquillement vers le petit bar où se trouve ma proie. Je le vois derrière le bar à s’affairer. Des cheveux châtains, plus longs que les miens, des yeux noisette, et ce petit sourire en coin qui me rappelle tellement ma propre attitude.
Oui. C’est définitif.
Ce sera lui.
J’entre et m’installe tranquillement en le saluant, un joli sourire aux lèvres. Peine perdue avec lui – je déteste les gays, ils ne font vraiment que me frustrer – mais rien n’empêche d’être polie. Et les deux types accoudés plus loin sont vraiment canons. Même s’ils sont fringués bizarrement… Ah, ces anglais.
– Bonsoir, je lâche en remettant une mèche de cheveux derrière mon oreille, plus par habitude que par besoin.
Je le détaille un instant. Je ressens son potentiel de medium jusqu’ici ; heureusement que personne ne lui a mis la main dessus. Ça fait quelques temps que je l’observe déjà… Et je ne peux pas m’enlever cette idée de la tête. Ce sera lui, mon prochain missionnaire. Et personne d’autre.
Mais avant, trouvons un moyen d’engager subtilement la conversation.
– Dites-moi, qu’est-ce que vous me conseillez ? Je ne sais pas vraiment quoi prendre, je l’interroge en regardant rapidement la carte, lâchant un petit soupir inaudible. Et j’ai besoin de penser à autre chose pour ce soir.
Subtilement, Inanna… Au pire, tu n’as qu’à lui lancer un “Toi, esclave de moi. Maintenant.” ça passera peut-être mieux que de jouer à la nana qui vient de se faire larguer.