Mar 15 Mar - 19:13
Je tapote nerveusement le bois de mon bureau alors que la page internet charge. Depuis quelques jours j’ai l’impression qu’il rame, et ça m’énerve. C’est mon seul lien avec l’extérieur, alors quand ma boite de dialogue met trop de temps à s’ouvrir j’ai l’impression de vivre au ralenti. Le rythme de mes ongles sur la surface plane m’exaspère aussi, il est régulier et résonne dans le silence de la pièce méticuleusement ordonnée. Je passe mon temps ici, il ne manquerait plus que ce soit en bordel, j’ai vraiment pas besoin de ça pour me sentir misérable.
Lorsque l’on pose ses yeux sur mon petit studio d’étudiante on y voit un gigantesque bureau longer la fenêtre. C’est cet espace de travail monstrueux qui nous avait convaincu quelques années plus tôt mes parents et moi. Peu importait la salle de bain quasi-inexistante et la cuisine minuscule, ce qui comptait jadis était l’espace de travail. A lui seul il compensait le lit une place que nous partagions avec Vincent quand il décidait de passer la nuit avec moi. Merde. Merde. Putain j’avais dit que j’penserais plus à ce con, merde. Et cette foutue page qui charge pas. J’vais la relancer, parfois ça fonctionne.
Parfois non, ça lague. J’me lève exaspérée par le contact du bois sous mes ongles et regarde le ciel par l’immense fenêtre. J’habite au troisième étage sans ascenseurs d’une résidence calme et peu éloignée de la fac. Si je tourne mes yeux vers le sol je suis persuadée que j’y trouverais quelques étudiants égarés. Ils se sont attardés à la bibliothèque universitaire ou ont peut-être ont-ils des projets de soirées alcoolisées en prévision ? Je ne le saurais pas car mes yeux se perdent dans la contemplation de ce ciel noir sans nuages.
On aura de la pluie ce soir, si je n’en étais pas persuadée, la météo qu’affichait mon portable un peu plus tôt quand j’ai regardé avec espoir si j’avais des SMS me l'a confirmé. Je n’en attends pas, de SMS j'veux dire, mais j’ai toujours cet espoir que quelqu’un pense à moi. Pourtant quand je reçois un message de l’instance parentale je me sens excédée et coupable. Coupable du mensonge et excédée de n’avoir d’autres contacts. C’est un étrange mélange d’amour et de colère, j’les aime, et en même temps j’leur en veux de pas voir que ça ne va pas. De pas voir la détresse dans laquelle j’me suis recluse. De pas voir que je sors plus de chez moi. Je leur en veux de croire en mes mensonges. J’leur en veux de pas voir ce que je ne leur dis pas, je suis leur fille… Ils devraient être tout puissants et omniscients, sentir quand j’ai un problème sans même être à mes côtés. Non ?
En fait, j’crois que c’est à moi que j’en veux le plus. J’m’en veux de pas avoir le courage d’avoir les couilles de poser mes ovaires sur la table et de leur dire « non ça ne va pas. » Je suis totalement incapable de leur parler de mes problèmes, ou même d’admettre en leur présence que j’ai des problèmes. Ils pensent que j’ai réussi mes partiels, je ne m’y suis même pas rendue. Combien de temps durera ce mensonge ? Je n’en sais rien, mais je sais qu’il ne pourra tenir indéfiniment et ça m’angoisse. Que se passera-t-il quand j’leur dirais que j’ai foiré mon année ? Je n’en sais rien. Je ne sais pas et oh ma page a enfin chargé !
MoMo
Désolée j’ai un lag monstrueux, c’est vraiment pas un mythe que les résidences étudiante ont une co de merde.
Faeris023
T’inquiètes, c’est pas grave, par contre j’vais te laisser ce soir j’sors avec des potes. Des kiss sur tes fesses.
MoMo
Passe une bonne soirée ma belle, profite bien !
Fae est une connaissance récente, j’crois qu’elle croit que je suis un mec, mais ce n’est pas grave. Je n’ai pas l’impression que cela compte entre nous, on a juste envie de parler. De tout, de rien et de n’importe quoi. Elle est en CAP petite enfance et elle passe son temps à se plaindre que les enfants la font chier… J’pense qu’elle a été mal orientée, mais je n’ose pas vraiment lui dire. Alors j’me concentre sur ses soucis et j’oublie les miens. C’est pas plus dur que ça.
Je sursaute, je viens de saisir un mouvement du coin de l’œil. Mon visage se détourne de l’écran pour laisser à mon cerveau plus de temps pour interpréter ce que j’vois… Un renard. Un aigle… Il a l’air de vouloir entrer vu qu'il toque contre ma fenêtre maintenant. C’est totalement débile comme réflexion j’en ai conscience. C’est même plus que ça, et j’ai aussi conscience qu’il est hautement improbable, voire totalement impossible qu’un aigle frappe à ma fenêtre, pas en plein milieu de Montpellier. Je sais que j’hallucine mais pour combler le vide du départ de Fae j’me décide à lui parler, comme je le faisais jadis avec mes amis imaginaires, j'ouvre ma fenêtre :
« Salut toi, ça te dirait de prendre le thé ? »