Shanxi 1999.
Tao ouvrit doucement les yeux et écouta distraitement le bulletin d'alerte diffusé à l'auto-radio. Il indiquait les accès et routes bloquées à cause des eaux. La plupart des habitants de Shanxi avaient maintenant les pieds dans l'eau. Son père pesta quelque chose que Tao se garda bien de le redire à vois haute …
- Désolé. Dit-il à Tao avant de renchérir avec une phrase des plus classiques et bateaux – D'ailleurs. Pourquoi bateau ?! - Et n'utilise jamais ce mot.
C'était la leçon de la semaine. Ne remploie jamais les insultes de ton père, même si il en crache à la minute une bonne dizaine. Tao esquisse un simple sourire et lui répondit :
Promis. Et par où on passe maintenant ?
- Bonne question. Je ne sais plus avec ces p...
Papa...
- Ces inondations. Se rectifie-t-il, soufflant dans la foulée un nouveau « désolé » à l'attention de la gamine. Il arrêta la voiture au milieu du pont puis, sorti un téléphone de la poche de son veston. Peut-être que ta tante connaît un autre chemin. Appelles-la s'il te plaît. Dit-il à Tao tout en lui indiquant le numéro.
Tao soupire. Jamais bien emballée à l'idée de rejoindre le reste de sa famille. Son père le remarque, il défait sa ceinture, se retourne côté banquette et lui ébouriffe la tête. Il s'en suivit un petit grognement de la part de Tao.
- Je reviens bientôt.
Mais jamais longtemps. Murmure-t-elle doucement.
- Si je pouvais t'emmener, je l'aurais fait depuis bien longtemps. Tu comprendras quand tu seras plus grande.
Tu pourrais tout aussi bien me l'expliquer mainte – Tao s'interrompt d'elle-même devant la mine soudain bien plus sérieuse et sombre de son père. Quelque chose clochait, et rôdait.
- Reste dans la voiture. Ordonne-t-il sévèrement et quittant le véhicule sans attendre.
Tao le suivit du regard, dénoua sa ceinture et pivota. À genoux sur la banquette, elle chassa la buée de la vitre arrière et remarqua au loin une silhouette. Imposante. Menaçante. Tao se figea en un instant. Une discussion s'engagea entre les deux individus mais la pluie battante empêcha Tao de bien entendre. Darcia. Créanne. Mission … Son père se retourne vers sa fille. « Ça va aller » semble-t-il lui faire dire. Mais à peine ces mots s'étaient-ils imprégnés dans son esprit que le duo disparu dans la brume, sans un bruit.
Les minutes défilent et puis, le temps d'un hurlement, le temps d'un cri, tout est déjà fini. De cette brume opaque un immense loup surgi. Une bête de cauchemar aussi sombre que la nuit. Des crocs acérés, maculés du sang de sa victime. Tao est tétanisée, qu'est-ce qu'un enfant face à un être de cette acabit. Il tourne autours de la voiture, se délecte de la détresse de notre amie. Darcia adore faire souffrir, mais se lasse très vite … Alors le Créanne, car tel est ce qu'il était, reprend forme Humaine. Il se penche côté vitre, Tao sursaute et verrouille automatiquement celle-ci. Darcia décroche un fin sourire et de son doigt ensanglanté exécute un tracer sur la vitre. Justice, tel est le mot qu'il inscrit avant de repartir....
La brume se dissipe, laissant apparaître le corps d'un homme sans vie dans les bras de sa fille. Elle crie à l'aide. Prie pour que quelqu'un vienne …
Londres 2008.
Et la revoici. Dans le même bureau, accoudée à la même fenêtre. Putain de rêves. Ça ne cessera donc jamais. Une porte s'ouvre et extirpe Tao de ses rêveries. Elle en cherche machinalement l'origine et voit alors son ami. Elle fronça légèrement les sourcils. On se demande à quoi un téléphone avec lui si il entre toujours ici sans prévenir.
- Tu as une petite mine Tao. Mauvaise nuit ? Dit-une voix qui sorti la jeune femme de ses rêverie. Elle tourna son regard en direction du psy alors qu'il la gratifiait d'un sourire.
Tu sais ce qu'on dit des questions connes j'imagine … Répondit-elle d'un ton lasse. L'homme rit. Il fouilla ensuite dans la poche droite de sa veste et sorti un paquet de Dunnhil.
- J'en ai une vague idée oui. Mais j'aimerai bien que tu me donnes quelques précisions ceci dit. Il ponctua sa phrase en agitant le paquet. Tao fronça légèrement les sourcils, mais déposa les armes bien vite.
Le briquet est dedans ? Demande-t-elle simplement.
- Évidement. Pour qui tu me prends ?! – Affirme-t-il en le lui lançant. Tao s'en saisit.
Pour quelqu'un qui ma déjà fait le coup il n'y a pas si longtemps. Répondit-elle calmement. Elle ouvrit le paquet, récupéra le briquet et alluma sa cancerette.
- C'était du temps où tu te faisais encore avoir facilement. Tao ne dit mot, préférant d'abord tirer une bouffée de sa cigarette. Jouissant de ses maigres privilèges.
Et de celui où je n'étais pas encore devenu dingue, accessoirement. Rectifie-t-elle en offrant un sourire à son ami. Celui-ci le lui rendit puis, s'attaqua à ce qui les amenait tous les deux ici. Quoi que Tao avait moins de route à faire que lui. Tu pourrais me prévenir de tes visites au moins, même si tu as les clés de mon appart'.
- Si je te téléphonai avant tu me renverrais dans les roses bien gentiment. Soupire-t-il avant de rejoindre son ami. Il récupéra le briquet et s'en grilla une aussi. Tu me racontes quoi alors ?
Rien d'intéréss- Hans, car tel était son nom, l'interrompit.
- Hé. Je te rappel que je suis psy aussi. Il frappa le sommet de son crâne avec le briquet. Une mine faussement boudeuse se dessina sur le visage de la jeune femme.
J'avais dit plus de briquet.
- Et moi de ne plus me mentir. Balle au centre. Sale gosse. Comme si c'était le lieu, l'endroit ou même le moment. D'un geste rapide elle se saisit du briquet et passa son bras de l'autre côté de la fenêtre. Si c'est ça qu'il cherche ...
Je ne suis pas ta patiente.
- C'est déjà le onzième que tu me balances ! S'indigne-t-il.
Parce que ça fait onze fois que tu me frappes. Je pourrais porter plainte tu sais. Dit-elle un brun taquine.
- Ils te croiraient pas. Je te rappel que c'est toi la folle dans l'histoire.
Aïe. C'était dure ça.
- Tu me le rend alors ou pas?
Rêves.
- Raclure.
Et quelques mots fleuris plus tard, une conversation un peu plus sérieuse s'amorça. Hans sauva son « fidèle compagnon » de la terrible chute. Tao se trouva quant à elle une simple pièce de monnaie comme nouvel exutoire. Elle la passait vivement sur chacun de ses doigts, offrant ainsi le semblant de concentration dont elle avait besoin.
- Est-ce que c'est toujours le même rêve ?
Toujours.
- Dans la voiture ?
Toujours. - Et oui, plus concis tu meurs -.
- Tu te revo-
À Shanxi, pendant les inondations.
- Ne sautes pas les questions. Grogne-t-il.
- Désolée, mais je sais déjà où tu veux m'emmener. Tu vas me demander si je me rappel de la traversée du pont : Oui. Si mon père était dans la voiture : Oui, au début. Ensuite tu vas en revenir à cette silhouette. Savoir si je ne me suis pas rappelé de son visage ou d'un élément supplémentaire : Non. Et ensuite ? Rien. Juste moi, le pont et le cadavre de mon père plus loin. Tu sais, tu peux aussi simplement venir ici pour boire un café.
La jeune femme n'était pas dupe, et encore moins stupide. Elle ne s'était pas tapée un voyage de plus de huit-milles kilomètre pour faire du tourisme. Elle ne s'était pas saignée au quatre veines pour ses études et, au final, ne rien retenir.
- Je déteste les psy. Ironise-t-il.
Je confirme, tu es pénible.
Tao soupire. Elle se déloge du rebord et rejoint mollement l'un des fauteuils en cuir. Elle était à bout et manquait cruellement de sommeil. Pourtant elle restait étonnement calme et patiente vis à vis de son confrère. Au moins l'un comme l'autre savaient faire preuve de finesse, même dans un tel contexte.
- Je te pensais plus pressé de sortir. Reprendre le travail et le tutti quanti.
La nourriture n'est pas si mauvaise ici. Dit-elle dans un sourire.
- Ah. Du coup tu ne m'en voudras pas si je me sers de ta thèse sur Ted Bundy.
Faux. Parce que tu es capable de le rendre barbant au possible.
- T'exagère.
Dixit celui qui me prend pour une schizophrène.
- Tu as lu mes dossiers ?!
Seulement le mien. Tu n'avais cas pas ramener tous tes « devoirs » un soir chez moi. Eden Dao … tu parles d'un pseudo au passage. Dit-elle calmement tout en s'allumant une autre cigarette dans le même temps.
- Traître.
Peut-être, mais pas schizophrène.
- Non, t'es juste la réincarnation de Jeanne d'Arc comme ta voisine de pallier.
Mary Cury, pas Jeanne d'Arc. Et ça fait trois mois que tu me bourres de cachets, sans résultat.
- Tu pensais que ça t'aiderai aussi je te signal.
Je sais. Tout comme je pensais que cette histoire était derrière moi.
- La mémoire est vicieuse parfois. Il faut croire que ta psyché a estimer qu'il était temps que tu te rappelles de certains détails. Et puis à force de suivre les cours de l'autre taré, tu finis par être atteins.
Et par détail, on parle d'un assassin loup-garou « trop dark » ? C'est pas un souvenir ça, mais un phantasme.
- T'étais gamine. À tes yeux ce n'était qu'un animal et ton esprit a fait le reste du travail. Quoi que … vu l'état dans lequel était ton père … Il ne termina pas sa phrase face au regard noir de sa comparse. Passons. Souffle-t-il.
- Et pourquoi maintenant.
Hum ?
Pourquoi je ne me souviens de ce sois-disant détail que maintenant ?
- Je sais pas. Un dé-clique. Ton cerveau a reconnecté deux ou trois fils.
Super, mon cerveau est une guirlande maintenant. Murmure-t-elle doucement.
Mais que Tao le veuille ou pas, c'était un fait. Tous les soirs elle le revoyait. Ce grand loup noir la hantait, l'empêchait de trouver le sommeil … Si, pendant un temps, elle avait retrouvée un semblant de paix. Tout oublié de cet incident ou même de son père. Ce n'était plus le cas désormais. Elle revoit encore et toujours cette silhouette plantée au milieu de la route et puis, subitement disparaître.
Hans, dis le moi franchement … Commence-t-elle doucement.
- Tu as complètement craquée, mais tu restes l'une des folles les plus censées que j'ai eu l'occasion de rencontrer. Dit-il sur le ton de la plaisanterie et lui esquissant un sourire.
Abruti …
- Il paraît oui, mais bientôt un abruti en blouse et ça, c'est la classe !