Dim 14 Aoû - 21:28
Astrid n’aimait pas le soleil.
Pas au sens astronomique terme bien sûr, elle comprenait la nécessité de cette étoile pour que la Terre ne soit pas un funeste caillou gelé. Cependant elle le préférait largement caché derrière d’épais nuages ou, encore mieux, en train d’éclairer une autre face de la planète.
Elle exécrait autant son acerbe lumière que sa suintante chaleur. Sa peau d’humaine avait, à l’aube de son existence, maintes fois essuyé de vives brûlures à son contact. Et ses yeux, qu’ils soient noirs ou bleus, ne pouvaient s’en accommoder.
En outre l’ensoleillement était un véritable obstacle à son isolement. D’une part il attirait de bruyants humains jusque dans sa campagne isolée. D’autre part il était ardu de passer inaperçue lorsque sa peau blanche et sa crinière rousse chatoyaient sous ses rayons. Et pour couronner le tout, son ardeur lui rendait bien trop souvent pénible de se retrancher dans sa carapace de jupons, manteaux et écharpes.
Inutile de préciser alors que l’été représentait pour elle le comble de l’horreur, cette saison ayant le mauvais goût de combiner une présence intensifiée et prolongée de son Némésis.
La Créanne palliait cela en embrassant totalement sa nature nocturne durant les « beaux » jours. Et ces derniers temps le ciel irlandais flamboyait d’un bleu anormalement tenace.
Chaque nuit Astrid pestait un peu moins silencieusement devant les prévisions météorologiques alignant de petits astres jaunes. L’envie d’échapper à ses quatre épais murs se faisait de plus en plus pesante et une nuit elle se résolut finalement à pointer son museau hors de l’ombre protectrice de son toit.
Elle savait que pour s’éloigner au plus vite les lieux trop fréquentés elle devrait faire une partie du voyage de jour. Il n’y avait rien de plus désagréable que d’être réveillé par un humain importun.
Ce genre de périple était épuisant, bien qu’elle en eût toujours tiré une grande satisfaction. Ses longues migrations solitaires permettaient à son esprit de flâner hors du cadre des dossiers en cours, esquissant des pistes pour de nouvelles réflexions, appréciant des détails sous un autre angle, reconsidérant les priorités.
Ce jour-là elle fut tirée de sa sieste matinale par une douce brise traversant les parois du terrier improvisé. Au-dehors le vent avait enfin amené les nuages tant espérés. Instant de grâce ou paix durable ? Elle n’aurait su le dire, mais l’occasion était à ne pas manquer.
Elle trottina sur la berge. Derrière une rangée d’arbres s’étendait une prairie. Depuis combien de temps n’avait-elle pas été à découvert, baignée dans un de ces désert d’herbe verte ? Seul les cris des bourrasques successives amortissaient ce silence providentiel.
Il devait sans doute y avoir des rongeurs cachés là-bas. Depuis combien de temps n’avait-elle pas mangé ? Le poison était rare dans cette portion de rivière. Et le ciel était si magnifiquement gris.
Elle s’élança. Bondissant à travers cette mer de verdure. Tout sens aux aguets. Elle ne mit qu’une poignée de seconde pour le voir. Un humain. Son instinct lui dit de faire demi-tour, mais la curiosité fut plus forte. Son aura était particulière. Elle avait déjà croisé ce genre d’humain. Le « missionnaire » qui s’était trouvé sur sa route était ce genre d’humain.
Et celui-là était seul, endormi. Entouré de sac, gourde, et livres. De livres. Son cœur accéléra la cadence. Ce n’était pas dans ses habitudes de s’occuper d’un dossier pendant une ballade. Mais l’occasion était trop belle. Elle frissonna rien qu’à la pensée que peut-être qu’une seule de ces pages lui en révélerait plus que des nuits de recherches solitaires.
Juste un coup d’œil ça ne pouvait pas faire de mal, non ? Il n’allait pas se réveiller et si c’était le cas elle n’aurait qu’à fuir. Un contre un c’était jouable, non ? Personne ne connaissait cette forêt mieux qu’elle. Elle pourrait être loin avant qu’il n’essaye de lui parler.
Elle envisagea de reprendre forme humaine. Ce serait indéniablement plus simple pour se saisir d’un livre et décrypter sa couverture. Mais moins discret. Beaucoup moins discret.
Que dirait-il devant une adolescente nue essayant de prendre un de ses ouvrages ? Sans doute rien qu’elle ne veuille entendre.
Elle trottina vers le dormeur. L’odeur de l’herbe se mêlait à celle du corps qui y reposait, tiède et hostile, et pourtant si imprégnée des effluves de vieux papiers et reliures de cuir qu’elle aimait tant. Elle était tout prêt à présent, à quelques enjambées à peine du possible eldorado de feuilles et d’encre.
Sa gueule n’était-elle pas trop petite pour porter un si gros volume ? Et si elle se contentait d’une des feuilles volantes déposée à coté ?
Ses questionnements se pétrifièrent lorsqu’elle vit les doigts de l’humain se contracter à son approche. Le réflexe de fuite repris le dessus. S’emparant d’un document au hasard, la créanne se précipita vers les bois.
A couvert et hors d’haleine, elle lâcha son butin. Une pauvre carte de la région comme elle en possédait déjà une vingtaine. Frustrée elle porta alors son regard vers la raison de sa fuite qui s’était alors éveillée.
Elle pouvait encore continuer son chemin, disparaitre dans les fourrés, chasser un peu, s’adonner à des réflexions futiles. Cependant elle n’arriva pas à se détacher du pressentiment que c’était là une quête nécessaire, de l’espoir qu’il relâche sa garde, de l’idée qu’elle puisse passer à nuit à décrypter les mystères de son origine plutôt que d’agir en vulgaire loutre.
Elle s’installa donc en sentinelle, patiente et déterminée, ne détachant pas son regard de la longue chevelure cendrée.