Il faisait doux à Stockholm l’été. Pas les grosses chaleurs qu’il pouvait y avoir dans les pays plus au sud, mais doux quand même. Les manches longues abandonnées, généralement je ne porte que des t-shirts unis pendant cette période. Jean, t-shirt… je crois qu’Elajah s’en tirerait les cheveux, ahah.

Enfin, j’entre dans un lieu dans lequel je ne vais pas souvent : le centre commercial. L’anniversaire de ma sœur approche, et il fallait que je lui trouve quelque chose.

Il n’y a pas énormément de monde, même si c’était la fin d’après-midi. En même temps, il fallait dire qu’avec ce soleil les gens préféraient aller se promener sur les quais ou vers le Fjord plutôt de se coincer dans le centre-commercial. Il fallait dire que, depuis le retour d’Utu au début de l’année, l’atmosphère semblait plus chaude que l’été dernier. A la Congrégation aussi, l’atmosphère semblait un peu plus légère… les missionnaires d’Utu sont soulagés, les tensions entre ces derniers et les missionnaires de Nanna se sont un peu apaisées. Enfin. Je ne parle pas de David… ce n’est pas comme si je l’avais beaucoup recroisé en même temps.

Je suis tiré de mes pensées par une voix horriblement familière.

— Oh, mais ne serait-ce pas le petit Alexander ? C’est que ça fait longtemps, tu ne viens plus au restaurant !!

Je m’arrête et me tourne, un sourcil haussé, vers une demoiselle brune. C’était la fille du patron du restaurant dans lequel je travaillais un peu avant, et on ne pouvait pas s’encadrer. Ou plutôt je ne pouvais pas l’encadrer. Je n’avais pas particulièrement envie de la croiser ici, cette petite peste.

Sourire ironique.

— Allons donc, je ne pensais pas te croiser ici.

— Oh, mais qu’entends-je ? Serait-ce le son de ta voix ? Le timide Alexander serait-il sorti de son pitoyable mutisme ?

Je croise les bras.

— Il semblerait. Un problème ?

— Non, pas que je sache, chéri ! Tu adresseras simplement à ta merveilleuse sœur n’est-ce pas, mes meilleurs vœux.

Je lève les yeux au ciel.

— Il serait grand temps de grandir ma pauvre, ça fait trois ans que tu gardes cette misérable rancune contre elle.

Elle m’adresse un regard, choquée que je lui parle ainsi. Je tourne les talons et change de direction. Je me serais bien gardé de la croiser, celle-là…

Je m’arrête, soudainement nerveux, à proximité d’une boulangerie. Je lève les yeux, sourcils froncés, vers les gens qui faisaient la queue pour aller à la caisse. Alors, je la vois. Cette chevelure flamboyante, inoubliable. Cette aura ne trompe pas non plus.

Merde. C’est la créanne guépard de l’autre fois. C’était quand, il y a plus d’un an maintenant ? Peu importe. Je remarque qu’il est accompagné, d’une autre créanne apparemment.

Je me pince les lèvres. Je ne suis pas sûr qu’il ait changé entre temps, alors je ne crois pas qu’aller lui proposer un café soit une très bonne idée. Et puis ce n’est pas comme si j’en avais envie. Je grince des dents ; c’est de sa faute si Lily est mêlée à l’univers des missionnaires.

Je jette un regard noir dans sa direction. Malgré tout, je fais un pas en arrière. Je ne peux pas me faire repérer par lui ici. Il y a trop de gens qu’un combat pourrait blesser.

Je ne pensais pas le croiser ici. Je ne pensais même pas le recroiser tout court, d’ailleurs. Ou alors, pas après autant de temps. Je n’ai pas entendu parler de lui depuis la fête de Katharyna, pourtant, vu l’agressivité dont il avait fait preuve, ça ne m’aurait guère étonné d’entendre qu’il avait attaqué un autre missionnaire entre temps. Alors, j’avoue que le recroiser dans une situation aussi banale que le shopping était surprenant.

Je me pince les lèvres lorsque finalement son regard croise le mien. Déjà que de par la couleur de ses yeux, animés par la haine, ces derniers n’étaient pas très avenants, maintenant qu’ils sont soulignés par un trait de maquillage noir, ses prunelles semblent faites d’une liqueur étrange, à la limite du poison.

Son regard est toujours aussi haineux, voire plus peut-être. Pourtant, il n’esquisse aucun geste dans ma direction. J’ose espérer qu’il a un minimum de considération pour les humains aux alentours.

La créanne qui l’accompagne me remarque à son tour. Mince. Beaucoup plus grande qu’Urhan, quoiqu’avec des traits et un corps fin, elle ne semblait pas dangereuse au premier abord. Enfin à la Congrégation on nous fait bien comprendre de ne pas faire confiance aux créannes inconnues.

La grande créanne blonde affiche un air scandalisé, avant de glisser ses bras sous les genoux et les épaules d’Urhan et… et le porter. J’avoue que pendant un instant, la colère s’efface de mon visage pour laisser la place à la surprise face à… l’étrangeté de la scène. Et ils viennent vers moi. Ah, mauvais point… Et la créanne blonde s’adresse à moi. Mais absolument pas sur un sujet auquel je me serais attendu.

— Voyons, tu ne peux pas porter quelque chose d’aussi PLAT avec un visage et un physique comme le tien ! Ce n’est PAS possible !

J’écarquille un peu les yeux, et, même si ça m’arrive de moins en moins souvent, je sens le feu me monter aux joues. Je ne m’attendais pas à…ça. Mais je tâche de me reprendre.

— Je me porte très bien comme ça, merci bien…

Je baisse les yeux vers Urhan, que la créanne blonde tient toujours au creux de ses bras. Mon regard se fait à nouveau plus froid. Je remarque qu’il porte encore son fichu sabre avec lui.

— Allons donc, comme on se retrouve.

Simplement en imaginant, d’un point de vue extérieur, l’échange haineux de regard que nous nous adressons, je devine que ça ne se finira pas par une cordiale poignée de main. Il y a trop d’humains… Il vaut mieux prendre les devants... Je détourne un instant les yeux, parcours rapidement la pièce –enfin, la pièce…- du regard, avant d’apercevoir un petit boitier rouge sur un mur. Sous mes doigts se forme une bille de poussière, que j’envoie s’écraser sur le boitier.

L’alarme incendie se déclenche, nous perçant les oreilles, et des jets d’eau venus du plafond s’enclenchent. Les gens se mettent à parler plus fort, inquiets, puis se dirigent d’un pas pressé vers la sortie.

Je me tourne à nouveau vers Urhan.

— Tu n’utiliseras pas à nouveau des innocents à ton profit.

Lorsqu’Urhan se met à rire, j’avoue être un peu perdu. Je hausse un sourcil en entendant ses mots. Et pendant un instant, je me mets à douter, et mes joues chauffent un peu à nouveau. J’ai bien fait de faire partir ces gens… n’est-ce pas ? Cette créanne est trop imprévisible, c’était mieux de faire partir les gens avant qu’il ne se passe quoi que ce soit, je pense…

J’ai un sourire ironique, l’observe un instant lorsqu’il se dégage des bras de la créanne blonde, remarque qu’il a changé de look. Pas comme si ça m’intéressait, en fait.

— Si ça te fait tant plaisir, je suppose que tu n’avais pas tellement l’intention de te retenir, pas vrai ? Après tout ce n’est pas comme si tu l’avais fait la dernière fois, n’est-ce pas…

J’écarquille un peu les yeux lorsque qu’il dégaine son sabre et essaie de me frapper au niveau du torse. J’ai le temps de me baisser cependant, alors il m’érafle l’épaule.

Je me redresse vivement, lui attrape les poignets, le fixe avec un regard noir. J’ai comme une impression de déjà-vu…

De la poussière se forme autour de mes propres poignets.

Sauf qu’il y a une chose à laquelle je n’avais pas pensé… les jets d’eau…

La poussière tombe en paquets pitoyablement inutiles à mes pieds. Ah. Ahah. Merde.

Cependant, la créanne blonde, avec une force que je n’aurais pas cru, éloigne Urhan de moi… je lâche alors les poignets de ce dernier, et recule de deux pas.

— Calmons-nous les enfants. Voyons chaton, si tu veux le tuer attends AU MOINS que je le rende présentable. Faudrait pas qu'il meurt dans ces... Vêtements ?

Je hausse à nouveau un sourcil, quoique vraiment très perplexe. Je suis de plus en plus perplexe lorsque la créanne blonde se penche pour murmurer quelque chose que je n’entends pas à l’oreille d’Urhan, avant de… littéralement lui lécher l’oreille. Mais… mais quoi ?! Enfin, cette créanne n’est absolument pas normale ! Enfin, je ne sais pas, mais on ne lèche pas les oreilles des gens comme ça en face d’autres personnes ! C’est, comment dire… hyper déplacé ! Surtout maintenant !

Je lui jette un regard perplexe lorsqu’elle passe son bras autour de mon épaule, je sens qu’elle me tire vers les boutiques désertes. Je me dégage de son bras d’un geste sec. Pour qui elle se prend, de vouloir me traîner ainsi ?! Je n’ai pas envie de faire quoique ce soit avec ces personnes, que ce soit du shopping, boire un café ou aller manger un poisson grillé au restaurant du coin !

— Qu’est-ce que vous fabriquez ?! Qui êtes-vous, d’abord ?

Je recule encore de deux pas, regarde tour à tour les deux créannes, méfiant.

Alexander écoute, sceptique, Urhan faire les présentations. Il est un peu étonné qu’Urhan lui « conseille » quoique ce soit, d’ailleurs. Avait-il changé, en un an ? Non, il avait failli l’embrocher, alors probablement que non. Il aurait presque envie de rire lorsqu’il entend le surnom « Black Smoke ». Il trouvait presque cela ridicule, s’auto-attribuer un tel surnom. Et manifestement, lea dénommé.e Seren semblait d’accord. Iel était littéralement mort.e de rire.

Le brun se tourna vers Urhan. C’était vrai qu’il risquait d’y avoir des policiers qui pouvaient débarquer d’un instant à l’autre.

— Etant donné que tu te balades avec un sabre avec toi, je ne suis pas sûr que tu passes pour innocent.

Pour finalement s’excuser de son fou rire, Seren fit un câlin à Urhan, surprenant encore une fois Alexander. Il ne s’attendait vraiment pas à ça. Puis iel revient vers le jeune homme. Iel s’excuse, et avant même que le prêtre-roi puisse trouver ça louche, iel avait déposé un baiser sur les lèvres du brun (avant, dans la foulée, de lui mordre le bras sous une forme arachnide qu’iel avait prise très rapidement). Les joues et le cerveau en ébullition, Alexander lui aurait volontiers foutu un coup de boule. Pour qui iel se prenait ?! Le brun n’avait plus autant eu envie de frapper quelqu’un depuis David. Il n’acceptait pas que quelqu’un d’autre que Tyarisse le touche de cette manière, jamais.

Seulement, il n’eut pas le temps de réagir que la créanne l’avait mordu, et le venin faisait effet très rapidement. Il vit danser quelques taches noires devant ses yeux, et il sentit ses genoux se dérober sous lui. Il sentit aussi cependant que quelqu’un, Seren très probablement, le rattrapait au vol –soyez certains cependant qu’Alexander ne le remerciera jamais pour ça, pas après le coup du baiser volé-, même s’il aurait probablement préféré s’étaler sur le sol plutôt que de subir pareille humiliation, qui devait probablement être la pire de sa vie.

C’était avec désespoir qu’il se rendit compte qu’il pouvait tout juste remuer les doigts. « Ce n’est pas possible… ».

Seren le fit asseoir dans une des boutiques désertes. Serrant les dents, le brun tâchait de toutes ses forces de bouger ses jambes. Il y arriva, un peu, mais il se douta que ses jambes ne pourraient certainement pas le porter. Il était vraiment, vraiment dans la merde.

Et c’est avec un malaise grandissant qu’il vit Seren revenir avec une pile de vêtements, qui de loin ressemblaient vraiment à ceux que portaient déjà Urhan. Alexander parvint à marmonner un « Fichez-moi la paix », un peu pâteux.

Sauf que ça n’a pas beaucoup d’effet, évidemment. C’est lorsque Seren commença littéralement à retirer le t-shirt du brun que ce dernier se dit que, s’il ne pouvait pas bouger ni ses bras ni ses jambes, il pouvait au moins utiliser ses pouvoirs. Les jets d’eau avaient cessé. La poussière, il allait leur faire manger par les narines…

Il jeta un regard noir à Seren, maintenant qu’il était torse nu. Il détestait toujours autant être aussi peu habillé. Montrer la cicatrice qui lui barrait le torse aussi.

La tenue que parvient à lui enfiler Seren ne lui plait pas, mais pas du tout. Autant, le bas, ça pourrait aller, quoiqu’un peu trop moulant. Mais alors le haut. Alexander ne comprenait même pas le principe de faire des t-shirts trop courts. Et être à moitié torse nu ça ne lui plaisait pas plus que ne pas avoir de haut tout court.

— Fichez-moi la paix, répéta-t-il, la voix un peu plus assurée.

La poussière apparut alors dans une espèce d’explosion. Il avait eu du mal à trouver l’énergie nécessaire pour user enfin de son pouvoir, c’était pour ça qu’il n’avait pas trop réagit pendant que Seren jouait à la poupée avec lui ; parce qu’il se concentrait du mieux qu’il pouvait.

L’avantage de la mini-explosion était d’avoir pu éloigner Seren. Les effets du venin commençaient à se dissiper peu à peu, et le brun put se remettre sur ses jambes encore un peu tremblantes. Il portait exactement la même tenue qu’Urhan. Idée qui lui était particulièrement désagréable.

Il jeta un regard glacial à Seren.

Je jette un regard mauvais à Urhan qui se plante devant Seren, me menaçant si jamais j’osais encore une fois toucher à la créanne blonde. La toucher, non mais sérieusement, je l’ai simplement fait.e reculer ! Je ne lui ai pas arraché un bras non plus !

— Comme si tu n’avais pas déjà envie de le faire…

Mes dents grincent. Je n’ai pas particulièrement envie de me battre contre Urhan, d’autant que si Seren me paralyse encore, je ne pourrais vraiment plus rien faire. Ma poussière ne sera pas suffisante.

Je lève les yeux vers eux. Honnêtement, je me sens un peu coincé, là…

Je recule d’un pas lorsque Seren se rapproche. Je commence à faire tourner de la poussière autour de mes pieds, si jamais iel –c’était bien ce pronom qu’Urhan avait utilisé plus tôt ?- tente quoique ce soit, je la lui fais manger, et tant pis pour la réaction d’Urhan, hein.

Mais, à ma grande surprise, la créanne blonde présente ses excuses. Je fronce les sourcils, perplexe. Quoi ? Je l’écoute m’expliquer pourquoi iel ne pouvait pas comprendre ce que je pouvais ressentir, pourquoi iel ne l’avait pas pris en compte. Je ne sais pas quoi penser. En général, quand on t’adresse des excuses, tu pardonnes à la personne en face. Mais, je ne sais pas, je suis beaucoup trop sur les nerfs pour lui pardonner. Non mais le coup du baiser volé, la morsure et le relooking forcé, ça faisait beaucoup d’un coup. C’était le genre de truc que je n’oubliais pas facilement.

Seren se recule, et retourne vers la sortie, demandant d’un ton autoritaire à Urhan de lea suivre. Je reste très perplexe. Je ne pensais vraiment pas que ça se déroulerait ainsi. Jamais je n’ai été autant pris au dépourvu de ma vie, je crois. Sauf quand Nanna m’avait fait le coup du valet, peut-être…

Je crois que je serais sincèrement soulagé s’ils pouvaient juste… partir. La seule chose dont j’ai envie là c’est retrouver Tyarisse.

Je tourne mon regard vers Urhan, attendant de voir s’il va se plier à Seren ou pas. Je lui adresse un regard à la fois froid et moqueur. Alors, tu prends le risque de te faire casser les deux jambes ?