Mer 24 Aoû - 14:33
J’ai chaud. Ma frange est lamentablement collée par la sueur et je ris trop fort. Pas aussi fort que la musique cependant.
La musique emplie l’espace, emplie le temps, emplie l’obscurité bardée de lasers multicolores. J’aime ça. Mon cœur semble pulser au rythme des basses. Je ferme les yeux pour mieux consommer chaque décibel. Je ne me sens rarement vide quand la musique m’assourdie. Je me sens rarement à part lorsque je danse au creux d’une foule de corps mouvants.
J’ai soif. Je pose ma main sur l’épaule d’Ely et m’époumone à son oreille pour lui signaler que je migre vers le bar. J’ai ma réponse par un hochement de tête dans une envolée de cheveux roses. A peine ai-je tourné les talons que sa bouche est déjà collée à celle du petit blond qui gravitait autour de nous depuis quelques refrains. Mon aura est-elle si intimidante ou ces ceux-là préfèrent seulement se passer de chandelle ?
Je m’insinue entre les odeurs moites et entrelacées : deo, fumée, peau, alcool … J’échange quelques regards contre une poignée de sourires. Mes vêtements amples tente de s’agripper à la nuée de danseurs.
J’atteins somme toute mon oasis au milieu de ce désert capiteux et m’accoude copieusement sur la fraîcheur poisseuse du comptoir. Je n’ai pas trop de mal à apostropher un barman, les lieux sont rarement bondés le mardi soir.
J’avale mon shot de vodka sans procès. Douce brûlure et exaltante chaleur.
Ce n’est pas avec ça que tu vas t’hydrater.J’ai mérité un peu de réconfort non ?
Certes, n’empêche que …Blablabla, blablabla. Parle autant que tu peux, ce soir je ne t’écoute pas. Pardon j’ai dit ce soir ? Tu ferais mieux de la fermer définitivement, tu gagneras un temps précieux.
Je scrute un des serveurs sans savoir où je l’ai déjà croisé. Andreas je crois ? Il me reconnait aussi et je me réjouis intérieurement. Le tumulte electro n’est pas propice à la discussion, mais tout contact est bon à prendre.
Je lui tends mon verre, il s’approche.
-Un autre, s’te plait.-Hey ! What’s up ?*
S’il savait … Je frissonne à la seule pensée de l’incisif froid londonien me harcelant pendant les longues heures passées à distribuer des flyers stupides à des passants indifférents. Cerise sur le verglas, mon maniaco-pervers de coloc, n’a pas supporté que je lui lance un paquet de céréale dans la gueule lorsque que je l’ai surpris à ramasser MES sous-vêtements sales dans MA chambre et a sournoisement arrangé mon expulsion. Plan A, B, C, D et leurs successeurs n’ayant pu m’héberger j’ai dû me rabattre sur Plan P (aka le poète raté, hypocondriaque et somnambule d’une cinquantaine d’année qui se trouve être mon ex-voisin de palier).
Je laisse échapper un rire nerveux et m’enfile le second shot. Mon interlocuteur me dévisage entre la curiosité et l’amusement.
-Référence à orange mécanique ?
-Euh … ouais.Non. Jamais vu le film, mais j’aime bien l’effet de mon seul œil gauche affublé de faux cils. Tout comme le vert sur les pointes de mes cheveux (grâce à des pastels volés dans les tiroirs de plan P, sans remords) il s’agit là d’un artifice isolé, le reste n’est que tissu noir, fluide, long et échancré, cerne, peau luisante, ongles rongés, cheveux rêches, aplomb, ardeur et folie.
Le présumé Andreas fait un geste d’excuse et s’en retourne vers de nouveaux venus pressés de s’imbiber de boisson. Je lâche un soupir déçu et m’apprête à m’immerger à nouveau dans la masse quand ma vision s’accroche à des prunelles fauves. Deux astres aux reflets de néons sur un visage magnifié d’un sourire comme peint à l’encre de Chine.
*[après de trop longues recherches je n’ai pas trouvé d’équivalent satisfaisant dans la langue de Molière]