Age: 31 ans
Nationalité: Française
Classe: Humain (Émissaire)
Dieu: Enki
Pouvoir: Primordial (Source)

   

   

Daniel est comme une statue, douloureusement taillée par la pointe intacte du temps et du vent. Peut-être pas une armoire à glace, quoiqu’il prenne soin de sa stature, mais un être solide, qui connaît l’effort sans le réconfort. Sa peau est comme la neige, tombée au petit matin des grands jours d’embouteillages : claire, douce, pure. Ah, quel agacement, ces femmes beaucoup trop tactiles se plaisant à ébouriffer ses cheveux d’un regard langoureux. Quel cruel manque de manières, c’est navrant. Ne peuvent-elles pas se contenter d’hausser un sourcil curieux, preuve de l’intérêt certain pour ces deux perles colorées ? Ses yeux, bien sûr. L’un, d’un noir profond, orbe de ténèbres ; l’autre, d’un bleu aussi profond que l’océan lui-même, cristal marin imperturbable. Un regard tantôt sévère, tantôt réconfortant, mais toujours saisissant l’esprit et même quelques cœurs perdus. C’est tout un charme obscur, incertain, qui en intrigue plus d’un. Ses cheveux d’une couleur acajou très subtile se balancent devant ce visage soucieux, comme lorsqu’il n’avait encore qu’une dizaine d’années. Une touche de légèreté voilant cette tête pleine de réflexions profondes. Au moins ça. Car ce n’est pas sa carrure droite et carrée qui inspire la douceur aux poètes. La course à pied, le tennis, le basket, en fait, le sport, dessinent l’aquarelle de son corps. Une aquarelle que renforcent les traits bien jaugés de sa musculature finement dessinée, sans être imposante.

Niveau vestimentaire, Daniel préfère le formalisme des chemises aux boutons étirés jusqu’à en craquer, plutôt que les tee-shirts qui font sourire les élèves un instant. Une cravate bien choisie, une veste élégante, la ceinture est bouclée, et c’est parfait. Aucun pli ? Très bien. L’Émissaire ne cherche pas forcément à plaire, bien sûr. Mais l’apparence demeure un premier contact, l’occasion d’abattre une première carte sur la table. Et il est nécessaire qu’elle soit puissante, posant les rapports de force. Après tout, la première impression est toujours la bonne. Surtout lorsqu’elle est mauvaise.

   

Quand on évoque Daniel, c’est toujours avec un soupçon de méfiance, ou alors d’admiration, au choix. Est-ce sa froideur naturelle, ou son charisme que l’on observe en tout premier lieu, cette première carte qui tombe irrévocablement ? Lui-même n’en sait trop rien, parce que ça l’importe peu, évidemment. Cet esprit lucide et logique ne s’attarde pas sur l’avis des autres : changeant, instable, confus, que peut-on en faire ? Rien du tout, exactement, c’est pire qu’un isotope mal conçu. Si ce n’est pas constructif, logique, ou juste utile, alors à la poubelle. Hop. Et de ce désintérêt découle inévitablement un franc-parler redoutable. Tout en politesse, ne l’oublions pas. Mais soyons clairs. Non pas un manque de tact ou de diplomatie : c’est bien facile de faire tourner en bourrique quelques simplets vers la porte de sortie. Non. Juste une façon très – trop ? – efficace pour avouer les faits succinctement. Et soudain, la Terre toute entière s’offusque. Encore un vilain qui n’est gentil qu’avec son chat ! Ah ! Des sottises. Daniel n’est pas sans cœur. Après tout, il a un chat, ce qui est tout une chose, oui. Néanmoins, il n’a rien d’un romantique allemand ou même d’un piètre rimailleur anglais. L’esprit logique et les raisonnements n’admettent pas les sentiments ; ils ne font pas partie des hypothèses ou des conditions initiales. Esprit qu’il a durement acquis : Daniel est incontestablement adhérent à la méritocratie. Au contraire, les partisans du moindre effort peuvent aller se faire voir, cordialement. On n’a pas idée à quel point la vie est juste lorsqu’on met sa mauvaise foi de côté. Simplement, il faut se donner les moyens de réussir, ce que Daniel peut et veut offrir. Parce qu’au final, derrière ce regard qui pourrait sembler méprisant – c’est partiellement faux – se cache une certaine reconnaissance envers l’Autre qui souhaite évoluer. Non, pas de profond sentimentaliste, cessez de rêvasser. Dans un sourire, toute la gratitude pour s’être donné du mal, une reconnaissance totale pour cette volonté tenace d’y arriver ; et plus loin encore, l’envie de pousser les autres vers la réussite. C’est bien cela qui motive l’Émissaire : réussir, et voir les autres réussir. Quant à ceux qui préfèrent jacasser en terrasse alors que le temps presse, n’attendez pas de considération quelconque.

   

Une fraîche journée d’été. Comme celles qui pétillent d’excitation, quand l’heure est aux longues balades sur les côtes normandes, devenant alors de formidables épopées héroïques dans la tête des enfants. Quatorze ans. C’est bien là que le bourgeon de l’enfance éclot, s’offrant à la nature en une fleur parfumée des saveurs estivales. Un être qui respire l’air marin des falaises blanches, qui se délecte du goût de la vague qui se brise contre la craie. Voilà. Durant cette après-midi où le soleil illumine les plages et les cœurs, Daniel était maître de ce spectacle. Rien ne semblait pouvoir interrompre la pièce théâtrale. Dans cet instant suprême, il ressentait cette envie grondante de courir, de percevoir l’air humide danser sur son visage, de plonger jusqu’au plus profond de l’océan et de la sensation. Il était seul, pensait-il, unique auteur et spectateur de son imagination.

Le moment d’une fraîche journée d’été. Qui s’effrita comme de la roche en une fine poussière volatile. Et qui plus jamais ne revint. La fleur qui fane, touchant du bout du doigt la pointe rouge de la Faux mortelle. Parce que l’enfant n’était pas seul sur les pointes venteuses. Un Prêtre-Roi, une Créanne. Rien que ça, et tout se craquèle, fissure, et détone comme la vague. Ça se produit si vite ; si vite que même l’œil ne perçût rien. Deux humains d’apparence – quoi de plus normal et de plus beau ? Et soudain, terrible comme un nuage chargé de tonnerre, ce regard qui glace l’être tout entier. La Créanne se faufila dans l’air devenu ténèbres jusque Daniel, et puis tout s’assombrit. Une dernière image : celle d’un sourire du démon lui-même, peut-être.

Daniel se réveilla aux pieds de la falaise. Il avait froid. Un homme demeurait assis à ses côtés, observant doucement la mer agiter sa couverture bleue sur les cailloux ronds. Il avait l’air simplement gentil, bienveillant. L’enfant le reconnaissait, oui, celui qui semblait combattre la créature humanoïde. Suivirent alors un formidable conte, poignant, duquel Daniel était maintenant auteur et spectateur juste pour un paragraphe. Les Créannes, Les Prêtres-Rois, Les Dieux, le combat, Daniel, la magie, la possession, la chute, le nouveau Médium, et le futur qui ne parle pas. L’avenir qui se tait et qui, pourtant, offre cent-mille étoiles dans les yeux du gamin. Oui, parce que dans cette goutte de présent, toute une admiration grandiose bourgeonna en une rose épineuse ; un enthousiasme complet, celui d’un enfant, tout bêtement.

Seulement, quelque chose ne s’écoula comme on aurait pu le deviner. Une petite goutte qui se met à geler, pour devenir un joli cristal brillant et coupant. Alors qu’on aurait pu penser à une dévotion bien appréciée de la part du nouveau Médium, celle-ci s’avéra plutôt extrême. Non pas qu’il eût sacrifié toute sa personne en faveur des dieux, non. Plutôt le reste, ce qui apparût à sa famille soudainement si lointaine tout aussi tragique. Daniel se plaisait à observer le monde avec ses deux nouveaux yeux : ses créatures fantastiques, ses plaies. Des yeux extasiés, comblés, mais qui avaient soif, réclamant toujours davantage. Doucement, Daniel s’investit dans son nouveau rôle, serviteur d’Enki. Il partit à Stockholm, s’offrant tout entier à la Congrégation dans l’unique but d’atteindre l’art de la magie. L’occasion sublime d’atteindre l’extase parfaite, l’accomplissement d’une personne si intrépide. Sa famille demeurait encore au Havre. Peut-être.

L’admiration du Prêtre-Roi devint alors une obsession aliénante. Non pas une quête de puissance, juste une volonté solide de servir Enki, pour découvrir le monde, ressentir tellement de choses. Les sentiments, ah ! Le beau prétexte. Les falaises, le vent, la vague, la fleur de la vie, tout cela n’a rien à voir avec la magie, bien sûr. Et lorsque la première étincelle gelée – non pas liquide – jaillit des doigts de Daniel, rien ne produit d’autre qu’un sentiment de satisfaction modéré. Rien que ça. Aucun grand engouement, juste un sourire : il était Prêtre-Roi. Le jeune homme qu’il était devenu se demanda alors quelle raison l’avait poussée jusque-là. Quelle motivation suffisamment puissante avait pu changer l’enfant rêveur en un homme raisonnable et dévoué ? Il avait oublié, juste ça. Le Havre lui parut alors lointain. Il ne devait pas y avoir grand-chose d’intéressant, pas plus qu’à Stockholm. Là-bas, il n’y avait rien lui permettant de grandir. Juste des souvenirs effacés, car ils étaient stupides, inutiles, inintéressants. Les rêves d’enfants, à quoi servaient-ils ? Depuis toujours bien sûr Daniel ne désirait qu’une chose : servir la Congrégation, afin de transmettre tout son savoir aux nouveaux élèves.

Ah, définitivement, il avait changé. Ce n’était plus un être qui se délecte d’eau fraîche et de spectacle grandiose, mais l’épée de glace solide et loyale de la Congrégation. Et Enki, oui, il était là aussi. Au fil de son parcours jusqu’au poste suprême d’Émissaire, Daniel prit quelques distances bien mesurées vis-à-vis toute cette affaire. Une certaine indépendance forgée dans la rigueur et la logique du maître de la glace. Enki lui paraissait bien capricieux par moments, bien qu’étant son pantin tout choisi. Seule la Congrégation semblait une institution droite et juste, alignant avec exactitude les lignes d’ordre permettant la sécurité et l’organisation bien fondée du monde. Au final, cette petite vie tranquille convenait tout à fait à l’Émissaire. Mais au juste, de quelle eau était peinte son passé ? Quelle question stupide. Ça n’avait aucune importance. Il ne ressentait pas le besoin de connaître ce détail.

 
 
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